Greffe de cartilage: état des lieux dans la gonarthrose.
Le Docteur Muriel Piperno est praticien hospitalier rhumatologue et travaille aujourd’hui dans le service de Rhumatologie du Pr J. Tebib au Centre Hospitalier Lyon Sud des Hospices Civils de Lyon. Sous l’influence antérieure du Professeur Eric Vignon, elle est devenue en 20 ans une spécialiste incontournable dans l’arthrose et les greffes de cartilage. Elle nous a autorisé à résumer un de ses articles récents concernant cette technique en pleine évolution. (*)
L’auteure rappelle que les lésions traumatiques du genou dont celle du cartilage sont aujourd’hui de plus en plus fréquentes. Ces lésions ne se réparent pas lorsque la lésion est profonde sauf si l’os sous-chondral, étant aussi lésé, fabrique alors un fibro cartilage de réparation mais non fonctionnel à partir des cellules-souche médullaires. Une telle lésion, chez un jeune, le conduit rapidement vers un handicap très lourd avec des douleurs invalidantes. Il y a alors très peu de traitements médicaux et l’on est vite confronté à la décision de prothèse.
Elle fait l’historique des greffes et l’état des lieux aujourd’hui
La solution peut provenir de la greffe d’un tissu aussi proche du cartilage hyalin que possible et comportant des chondrocytes pour combler le trou formé dans le cartilage et restaurer la surface articulaire abimée. Seul le chondrocyte est en effet capable de synthétiser son environnement matriciel extra-cellulaire. On prélève donc du cartilage du patient par biopsies en zone articulaire non portante au niveau de l’articulation à traiter et on le réimplante dans la lésion après avoir transformé le trou en une chambre étanche grâce à un lambeau périosté ( greffe de 1° génération) ou une membrane collagène (greffe de 2° génération) cousus autour de la lésion. La première greffe de ce type à été réalisée par Brittberg en 1994. Elle est efficace et à ce jour plus de 15.000 patients ont été traités avec satisfaction.
Un frein à cette technique se situe dans l’avis de la HAS qui impose des réserves pour sa réalisation : patients de 15 à 50 ans, ayant une (ou des) lésion(s) chondrale(s) profonde(s), unipolaire(s), symptomatique(s) du condyle fémoral, supérieure(s) à 1 cm². Il s’agit donc bien d’une lésion traumatique importante. Cela exclue donc les lésions d’arthrose. En plus, la Commission de la transparence a émis un avis défavorable au remboursement de ce geste en raison d’un intérêt clinique provisoirement mal établi puisqu’aucune étude n’a permis de démontrer la supériorité de cette greffe de chondrocytes sur la technique peu coûteuse et peu invasive des micro fractures consistant à effectuer, sous arthroscopie, des micro forages de l’os sous chondral pour forcer les cellules de la moelle osseuse à combler le trou par un fibro cartilage. La greffe nécessite en outre deux interventions, l’une avec arthroscopie pour le prélèvement et l’autre avec arthrotomie pour l’implantation. L’appui est autorisé à la 7° semaine et la reprise d’activité normale au 7° mois. En outre la culture des chondrocytes en mono couche entraine leur dédifférenciation : il faut donc les cultiver dans un environnement tridimensionnel pour qu’il conservent leur capacité à fabriquer du collagène II et des protéoglycanes spécifique du cartilage. Ainsi il a fallu créer des bio matériaux capables de supporter dans leurs mailles les chondrocytes permettant de faire des greffes de 3°génération. Quelques supports sont utilisés comme le Hyaff 11 à base d’acide hyaluronique ou le Chondrogide à base de collagène. Il y en a bien d’autres encore. Ainsi sur la base d’un bio matériau, le BioSeed-C, un support pour chondrocyte fait de fibrine et d’un polymère, une étude a été réalisée et publiée en 2009 par une équipe allemande avec P.C. Kreuz avec un suivi de 4 ans pour 19 patients atteint d’arthrose de stade 2 ou 3 de Kellgren et Lawrence (K. et L.) et greffés. 80% d’entre eux sont satisfaits au bout de l’étude avec amélioration des lésions d’arthrose évaluée par IRM.
Elle évoque ensuite des voies pour améliorer les greffes dans le futur
Utiliser d’autres cellules que les chondrocytes
Les cellules souches mésenchymateuses, du fait de leur caractère pluripotent et de leur capacité à moduler le système immunitaire, offrent une voie de recherche particulièrement intéressante. De telles cellules issues de la moelle osseuse et placées dans un gel de collagène ont été greffées sur des genoux arthrosiques sans que l’on puisse démontrer une amélioration significative par rapport à l’ostéotomie.
Améliorer les conditions offertes au chondrocyte en culture
Création de cultures dynamiques en milieu tridimensionnel avec des bio réacteurs, un traitement des déchets et application de contraintes physiques identiques à celles existant dans l’articulation qui permettent d’établir un milieu optimal de maintien de division et de développement.
Ajout de facteurs de croissance au milieu de culture
FGF, IGF, TGF, BMP notamment activent la division, la différenciation cellulaire et augmentent la synthèse de matrice par le chondrocyte. Leur emploi est à l’étude mais non dénué de risques potentiels nécessitant une bonne maitrise de ces agents.
Peut-on alors envisager de traiter des lésions d’arthrose débutante avec les greffes de troisième génération ainsi optimisées?
Il faudra donc posséder un bio matériau comportant des chondrocytes actifs implantable par arthroscopie et adhérent aux lésions d’arthrose constamment en miroir (pour un genou p.e : condyle fémoral et plateau tibial. Il faudra aussi être capable de gérer le cartilage avoisinant et apparemment sain mais susceptible de se dégrader secondairement ce qui n’est pas évident tant qu’on ne sait pas parfaitement le mécanisme d’installation de l’affection.
L’auteure propose aussi, comme d’autres chercheurs, l’utilisation de greffes de cellules génétiquement modifiées et capables de sécréter après implantation un ou des facteurs contrôlant et modifiant le métabolisme des chondrocytes présents dans le cartilage arthrosique comme l’IL-1Ra, leTGF…..
Elle conclût que même si la greffe de chondrocytes telle que pratiquée aujourd’hui ne guérit pas l’arthrose, il ne semble pas illusoire d’obtenir avec cette technique un gain de temps sur la mise en place d’une prothèse totale dans certaines lésions du cartilage, ce qui n’est pas négligeable. Il faut donc persévérer.
(*) M.Piperno. Greffe cellulaire et réparation du cartilage. Rev. Prat. Mai 2012, vol 62, 656-7.