Le rat taupe nu et son acide hyaluronique nous apportent des messages.

Un travail tout récent (*) paru dans la revue Nature de juin 2013 et réalisé par une équipe de chercheurs de l’université de Rochester semble montrer une relation étroite entre l’absence de cancer, la longévité exceptionnelle d’une famille de mammifères rongeurs et leur capacité à fabriquer et stocker un acide hyaluronique de très haut poids moléculaire ( 5 à 6 fois supérieur à l’acide hyaluronique humain). En voici leur résumé :

The naked mole rat (Heterocephalus glaber) displays exceptional longevity, with a maximum lifespan exceeding 30 years. This is the longest reported lifespan for a rodent species and is especially striking considering the small body mass of the naked mole rat. In comparison, a similarly sized house mouse has a maximum lifespan of 4 years. In addition to their longevity, naked mole rats show an unusual resistance to cancer. Multi-year observations of large naked mole-rat colonies did not detect a single incidence of cancer. Here we identify a mechanism responsible for the naked mole rat’s cancer resistance. We found that naked mole-rat fibroblasts secrete extremely high-molecular-mass hyaluronan (HA), which is over five times larger than human or mouse HA. This high-molecular-mass HA accumulates abundantly in naked mole-rat tissues owing to the decreased activity of HA-degrading enzymes and a unique sequence of hyaluronan synthase 2 (HAS2). Furthermore, the naked mole-rat cells are more sensitive to HA signalling, as they have a higher affinity to HA compared with mouse or human cells. Perturbation of the signalling pathways sufficient for malignant transformation of mouse fibroblasts fails to transform naked mole-rat cells. However, once high-molecular-mass HA is removed by either knocking down HAS2 or overexpressing the HA-degrading enzyme, HYAL2, naked mole-rat cells become susceptible to malignant transformation and readily form tumours in mice. We speculate that naked mole rats have evolved a higher concentration of HA in the skin to provide skin elasticity needed for life in underground tunnels. This trait may have then been co-opted to provide cancer resistance and longevity to this species.”

Traduction

Le rat-taupe nu (Heterocephalus glaber) affiche une longévité exceptionnelle, avec une durée de vie qui peut dépasser 30 ans, ce qui en fait un champion  parmi tous les rongeurs pour cette caractéristique. Ceci est surtout remarquable quand on considère la petitesse  du corps de ce rongeur. En comparaison, une souris domestique de même taille a une durée de vie maximale de 4 ans. Outre leur longévité, les rats-taupes nus présentent une résistance inhabituelle au cancer. Les observations pluriannuelles de colonies de rat-taupe nu n’ont pas pu détecter une seule incidence de cancer. Les auteurs prétendent avoir  identifié  un facteur responsable de la résistance au cancer du  rat-taupe nu. Ils ont trouvé que les fibroblastes de rat-taupe nu sécrètent un acide hyaluronique (HA),de très haut poids moléculaire,  cinq fois plus élevé  que celui de l’homme ou de la souris.  Cet HA s’accumule en très grande quantité  dans les tissus de ce rongeur du fait de la diminution d’ activité des enzymes qui dégradent le HA et de l’existence d’une seule HA synthase : la HAS2. En outre, les cellules de rat-taupe nu sont plus sensibles aux signaux dépendant de l’AH avec une affinité plus élevée pour cette substance que les cellules humaines ou de souris. Les modifications des voies de signalisation qui mènent à la transformation maligne des fibroblastes chez la souris sont sans effet sur ce rat taupe. Quand on réduit le poids moléculaire de cet acide hyaluronique exceptionnellement haut en bloquant la HA synthase 2 qui le fabrique ou en surexprimant l’enzyme HYAL 2 qui le dégrade, les cellules de rat-taupe nu deviennent alors susceptibles de subir une transformation maligne aussi facilement que chez la souris. Les auteurs avancent l’idée que les rats-taupes nus ont acquis la capacité à fabriquer un acide hyaluronique de très haut poids moléculaire et de très haute concentration stocké dans la peau pour augmenter l’ élasticité de ce tissu, propriété nécessaire à la vie dans les tunnels souterrains. Cette capacité a déterminé en parallèle  une résistance accrue au cancer et une longévité exceptionnelle dans cette espèce.

Le petit mammifère, vedette du travail scientifique.

C’est une espèce du genre heterocephalus dit glaber (glabre ou sans poil). Le rat-taupe mesure 8 à 10 cm pour un poids 30 à 35 g. Ce petit rongeur souterrain d’Afrique de l’Est est, en dépit de son nom, plus proche du cochon d’Inde et du porc-épic que du rat. Il a une une mâchoire particulièrement développée qu’il utilise pour forer les galeries. Leurs yeux sont pratiquement atrophiés, et ses oreilles minuscules se limitent à une petite ouverture empêchant le terre d’y rentrer. Il est sans poil avec une peau rosée et translucide sauf pour la tête et de la queue qui ont de longs poils sensitifs ou les pattes avec des poils entre les orteils. La vision est nulle mais l’odorat et l’audition sont très développés. Il vit en colonies de quelques dizaines à quelques centaines d’individus comme les fourmis ou les termites avec une reine qui assure la reproduction autour d’ouvriers, de soldats et de nourrices. Elle s’accouple avec quelques mâles qui sont toujours les mêmes. Les autres membres de la colonie ont leurs capacités sexuelles inhibées par des phéromones contenues dans les urines de la reine. Les portées sont prolifiques ( environ 5 par an avec 10 à 20 petits pour chacune). La reine  est beaucoup plus grosses que les autres membres de la colonie vivant sans bouger de grossesses en grossesses. Son corps se résume presque à son uterus. La gestation est d’environ 70 jours et la reine peut avoir 5 portées par an. La taille des portées est d’une douzaine de petits mais peut monter jusqu’à 27 (chiffre le plus élevé jamais observé chez des mammifères). Ce sont des végétariens qui  consomment des racines leur apportant eau et nourriture. Comme les lapins, autres rongeurs, ils mangent une partie de leurs déjections pour optimiser la transformation et la digestion de la cellulose qui est leur plat de base. (source Wikipédia)

Notre avis

Encore un travail qui met en évidence des propriétés physiologiques nouvelles pour ce glycosaminoglycane. Il est intéressant de noter que dans ce travail, on met l’accent sur des propriétés qui découlent du très haut poids moléculaire de l’AH étudié. C’est la longueur des chaines faites de maillons de disaccharide qui apporte aux fibroblastes leur résistance accrue aux aggressions.Dans le cas présent ce mammifère a pu surexprimer HAS 2 qui est responsable de la synthèse des plus grandes chaines d’acide hyaluronique dont la présence à concentration élevée dans la matrice extracellulaire est asoociée notamment à un blocage de la prolifération des tumeurs.

Le rôle du poids moléculaire dans les propriétés pharmacologiques des acides hyaluroniques  est donc parfaitement évoqué et ne peut donc  être esquivé notamment quand on étudie les effets de la viscosupplémentation dans une articulation. On sait d’ailleurs qu’une diminution du poids moléculaire d’AH dans le liquide synovial et le cartilage va de pair avec les lésions d’arthrose constatées.

Faut-il donc utiliser de plus en plus couramment des acides hyaluroniques avec des chaînes très longues de haut poids moléculaire pour protéger le mieux possible le cartilage des agressions physiques et chimiques oxydatives ? La réponse est probablement oui. Cela est d’autant plus probable que le PM moyen des AH dans une articulation se situe autour de 4000 KDaltons alors que les viscosuppléments actuels sont au mieux de 2000 à 2400 KDaltons.

Il est important de rappeler ici que le poids moléculaire d’une chaine d’acide hyaluronique  dépend uniquement et exclusivement du nombre de maillons de disaccharides qu’il comporte. L’assemblage de chaines d’AH par réticulation qui permet le les relier par des ponts chimiques n’augmente pas le poids moléculaire de l’acide hyaluronique utilisé s’il lui donne par contre des capacités mécaniques différentes et une résistance accrue aux agressions externes. Ainsi un AH de 1.200 KDaltons associé à un autre de 1.500 KDaltons ne fait pas un AH de 2.700 KDaltons mais bien une solution de deux AH de PM diférents. De même la réticulation NASHA  qui aboutit à un assemblage de chaines d’AH dont la somme des poids moléculaires ne forme pas un nouvel AH d’un PM extrêmement élevé et évalué à des  dizaines de milliers de KDaltons mais un gel  constitué de perles faisant 10 10 KDaltons  formées de milliards de molécules d’acide hyaluronique de  1000 KDaltons.  

 

(*) Tian X, Azpurua J, Hine C, Vaidya A, Myakishev-Rempel M, Ablaeva J, Mao Z, Nevo E, Gorbunova V, Seluanov A. (Department of Biology, University of Rochester, Rochester, New York 14627, USA) High-molecular-mass hyaluronan mediates the cancer resistance of the naked mole rat. Nature. 2013 Jun 19.