Traiter l’os pour soulager le cartilage : le pari du strontium.

Le strontium est connu depuis plus de 200 ans. La strontianite, minerai dont il provient, a été identifiée en Écosse dans les mines de Strontian (Photo en haut de la page) par Adair Crawford en 1790 Le métal a été ensuite isolé par Humphry. Davy en 1808 par électrolyse de ce minerai  en présence notamment de mercure. Il est dans le tableau de Mendeleïev  à la 38° place sous l’abréviation Sr avec une masse atomique de 87,6, soit plus du double de son cousin le calcium situé à la place 20 avec une masse atomique de 40,1. C’est un métal alcalino-terreux  comme le calcium ou le baryum. Ces métaux sont surtout connus par leurs oxydes sous forme de terres et de roches, ne se trouvent jamais sous forme pure dans la nature. Le strontium est  mou, de reflet argenté quand il est fraîchement coupé. Il prend une couleur jaune crème dès qu’il est exposé et et quasi instantanément oxydé à l’air. C’est un constituant de la croûte terrestre sous forme de strontianite (carbonate) et de célestite (sulfate). Lorsqu’il est broyé finement le strontium s’enflamme à l’air. Mélangé à l’eau, il forme un hydroxyde de strontium en  dégageant de l’hydrogène. Il réagit facilement avec les halogènes, l’oxygène et le soufre pour former des sels volatils qui donnent à la flamme  une coloration pourpre intense qui les font utiliser dans la pyrotechnie et la signalisation. La strontiane qui est un oxyde de strontium (SrO) est utilisée dans l’agro-alimentaire pour extraire le sucre de la mélasse de betterave, dans l’industrie notamment pour l’électronique et les tubes cathodiques, les feux d’artifice, la pharmacie, la papeterie, la lunetterie ou l’optique comme le titanate de strontium, SrTiO3 qui est un matériau optique intéressant par son indice de réfraction extrêmement élevé avec une dispersion optique supérieure à celle du diamant. Deux isotopes, le Sr 85 et le Sr 87 radioactifs ont été les premiers éléments utilisés pour réaliser les scintigraphies osseuses en raison de leur affinité pour ce tissu. Remplacés dans cette utilisation par les pyrophosphates de technétium 99, un autre isotope Sr 89 émetteur β est utilisé dans le traitement de certaines métastases osseuses de cancers. Enfin l’isotope Sr 90, provenant de la combustion nucléaire, est un composant radioactif très dangereux avec une durée de vie dépassant 27 ans.

Métabolisme chez l’homme

Le strontium est absorbé par le tube digestif selon les mêmes mécanismes que le calcium. Il tend à se concentrer dans les parties du squelette où se forme le tissu osseux. La concentration plasmatique normale du strontium  est d’environ 20 microgrammes par litre ; elle s’élève lorsque l’apport alimentaire augmente. Si  la concentration plasmatique du calcium, son cousin, est régulée, celle du strontium ne l’est pas et peut donc s’accumuler dans l’os. Le strontium s’élimine cependant par les urines en quantité relativement plus importante que le calcium.

De nombreuses études portant sur la présence de strontium dans l’os permettent de voir que, pris isolement  par voie orale en remplacement du calcium ou en plus grande quantité que le calcium, ce métal provoque des troubles osseux de type ostéomalacique avec hypocalcémie. que pris en même temps que le calcium, il favorise la formation osseuse et s’oppose donc à l’ostéoporose. C’est un sel : le ranélate de strontium, qui est commercialisé avec une indication dans le traitement de l’ostéoporose post-ménopausique où il réduit le risque de fractures vertébrales et de la hanche.

Quelle idée de l’utiliser dans l’arthrose ?

L’arthrose serait la conséquence d’une altération de l’os sous-chondral, cette plaque qui mélange ses fibres collagène avec celles du cartilage et qui le sous–tend. Une sclérose progressive de cet os empêcherait  la nutrition du cartilage qui n’est pas vascularisé et dépend donc de cette zone tissulaire. Cette sclérose diminuerait également l’absorption des chocs mécaniques, cette fonction se répercutant en totalité sur le cartilage et son chondrocyte.

Cependant on ne sait pas aujourd’hui si le déclenchement de l’arthrose est dû à l’altération primitive du cartilage ou  à cette hypothèse qui est séduisante sur le plan thérapeutique quand bien peu de traitements visant à traiter le cartilage malade ont montré un soupçon d’efficacité, on en conviendra.

Quels arguments pourraient étayer cette idée ?

Dans les années 1990 le Pr Pierre Delmas, élève du Pr Pierre Meunier, le pionnier français de l’ostéoporose en France crée un échantillon de femmes de la région lyonnaise pour étudier l’os. C’est la fameuse cohorte OFELY à partir de laquelle de nombreux travaux et essais scientifiques seront développés. En est sortie la classique courbe de perte osseuse avec sa cassure à la ménopause mais aussi l’ensemble des critères biologiques liés au métabolisme osseux, la classification des fractures ostéoporotiques. Il s’agissait surtout à l’époque de recruter une population à risque d’ostéoporose. C’est quelques années plus tard que l’idée est venue d’utiliser la cohorte OFELY pour étudier l’arthrose parce qu’à l’occasion d’une étude de l’effet du ranélate de strontium dans l’ostéoporose, les biologistes avaient noté une diminution significative de l’excrétion du collagène de type II dont ils avaient mis au point le dosage et réputé spécifique du cartilage Ainsi le strontium réduisait la destruction de ce tissu en même temps que celle de l’os en favorisant par ailleurs sa formation. Des études complémentaires sur la colonne vertébrale avaient semble-t-il montré un ralentissement de la progression de l’arthrose chez les femmes sous ranélate de strontium avec diminution concomitante des douleurs. (2,3,4,5,6). Tout allait dans le même sens et il n’en fallait pas plus pour voir les laboratoires Servier se lancer dans une étude à grande échelle  portant sur l’effet  de cette substance dans l’arthrose du genou. Il leur fallait une mesure validée de la perte de cartilage au cours du temps représentée par la diminution de hauteur de l’interligne articulaire dans les compartiments fémoro-tibiaux, ce qui fut réalisée par un travail de M. Arlot (7)  qui avait d’ailleurs permis de mesurer l’interligne des genoux dans l’évaluation de la chondroprotection par la chondroïtine au cours de la « STOPP study ».

L’étude ranélate de strontium dans la gonarthrose (1)

18 pays avec 98 centres coordonnés par le Pr Reginster ont inclus 1683 patients dans une étude réalisée en double insu sur 3 ans. Les arthrosiques étaient répartis en trois groupes : 1 groupe(558) avec 1 gramme de ranélate de strontium par jour, le 2° (566) avec  2 grammes par jour et le 3° (559) était un groupe témoin recevant un placebo. Le critère principal d’évaluation était la progression de l’arthrose par la mesure du pincement de l’interligne selon la méthode validée précédemment signalée.et réalisée de façon centralisée  dans deux centres indépendants puis se comparant.  Par ailleurs le bénéfice du traitement sur les symptômes de la gonarthrose a été mesuré par une échelle de WOMAC (Western Mac Master Ontario) mesurant la sévérité des symptômes selon trois dimensions: douleur, raideur et fonction articulaire ,

Les résultats de l’étude

L’étude a inclus des hommes et des femmes présentant une arthrose symptomatique classée radiologiquement légère 2 de K et L (40%) à modérée 3 de K et L  (60%) avec un interligne interne compris entre 2,5 et 5 mm, avec une douleur d’au moins 40 sur une EVA douleur graduée de 0 à 100. Il y avait 69 % de femmes et 31 % d’hommes. d’âge moyen 62,5 ans,.» Le taux d’arrêt au bout de 3 ans a été de 42%. Le taux d’observance du traitement pour la population ayant terminé l’étude a été de 90%. Il n’y a eu  aucune différence statistiquement significative entre le placebo et les deux doses de ranélate de strontium pour les effets secondaires observés au cours d’une étude sans évènement grave signalé semble-t-il. Le ranélate de strontium a été bien toléré notamment au niveau vasculaire et cutané.

La population mesurée en intention de traiter a comporté 1371 patients. La présence de ranélate de strontium s’est associée à une moindre dégradation de l’interligne articulaire que dans le groupe placébo

(1 g/jour: -0.23 (SD 0.56) mm; 2 g/jour: -0.27 (SD 0.63) mm; placebo: -0.37 (SD 0.59) mm);

Ainsi la différence par rapport au placebo était de  0.14 (SE 0.04), 95% CI 0.05 à 0.23, p<0.001 pour le groupe 1 g/jour et de 0.10 (SE 0.04), 95% CI 0.02 à 0.19, p=0.018 pour le groupe à 2 g/jour. Résultats statistiquement significatifs.

Il y a eu moins de patients « progresseurs » en terme de radiographie avec les groupes ranélate qu’avec le groupe placebo : p<0.001 et p=0.012 for 1 and 2 g/jour.

Une réduction du  WOMAC total (p=0.045), WOMAC douleur(p=0.028), WOMAC fonction (p=0.099) et de  l’EVA douleur (p=0.065) a été notée dans le groupe à 2 g/jour

Les auteurs concluent que le ranélate de strontium à 1 ou 2 g/jour a un effet structural significatif sur l’arthrose du genou avec un effet clinique positif quand le produit est dispensé à raison de 2g/jour.

A suivre!

Bibliographie

1 Reginster JY, Badurski J, Bellamy N, Bensen W, Chapurlat R, Chevalier X, Christiansen C, Genant H, Navarro F, Nasonov E, Sambrook PN, Spector TD, Cooper C. Efficacy and safety of strontium ranelate in the treatment of knee osteoarthritis: results of a double-blind, randomised placebo-controlled trial.
Ann Rheum Dis. 2013 Feb;72(2):179-86
 
2 Garnero P, Ayral X, Rousseau JC, Christgau S, Sandell LJ, Dougados M, Delmas PD. Uncoupling of type II collagen synthesis and degradation predicts progression of joint damage in patients with knee osteoarthritis.
Arthritis Rheum. 2002 Oct;46(10):2613-24.
 
3 Jordan KM, Syddall HE, Garnero P, Gineyts E, Dennison EM, Sayer AA, Delmas PD, Cooper C, Arden NK. Urinary CTX-II and glucosyl-galactosyl-pyridinoline are associated with the presence and severity of radiographic knee osteoarthritis in men.
Ann Rheum Dis. 2006 Jul;65(7):871-7. Epub 2005 Nov 10.
 
4 Garnero P, Sornay-Rendu E, Arlot M, Christiansen C, Delmas PD.  Association between spine disc degeneration and type II collagen degradation in postmenopausal women: the OFELY study.
Arthritis Rheum. 2004 Oct;50(10):3137-44.
 
5 Gensburger D, Arlot M, Sornay-Rendu E, Roux JP, Delmas P. Radiologic assessment of age-related knee joint space changes in women: a 4-year longitudinal study.
Arthritis Rheum. 2009 Mar 15;61(3):336-43. doi: 10.1002/art.24342
 
6 Bruyere O, Delferriere D, Roux C, Wark JD, Spector T, Devogelaer JP, Brixen K, Adami S, Fechtenbaum J, Kolta S, Reginster JY. Effects of strontium ranelate on spinal osteoarthritis progression.
Ann Rheum Dis. 2008 Mar;67(3):335-9. Epub 2007 Oct 26.
 
7-Arlot M, Gensburger D, Roux JP, Delmas PD. Does the knowledge of the time sequence of radiographs impact the reading of radiographs in longitudinal studies in patients with knee osteoarthritis?
Osteoporos Int 2008;19 Suppl 1:59.