Les traitements futurs de l’arthrose vont-ils rester ceux d’aujourd’hui ?

Parce qu’au cours des poussées évolutives d’arthrose du genou ou de la hanche qui se caractérisent notamment par une destruction augmentée de cartilage avec des stigmates biologiques d’inflammation comme une élévation de la CRP, de la COMP, parce que l’arthrose des mains dans sa forme érosive et destructrice de départ s’accompagne de synovites authentiques et ressemble dans son évolution à une polyarthrite, les rhumatologues ont tenté de traiter ces affections avec des biothérapies qui font merveille dans les rhumatismes inflammatoires chroniques, ayant transformé le pronostic de ces affections en quelques années.

L’interleukine 1 comme cible.

Comme on pouvait penser que l’arthrose était une affection dépendant plus de l’interleukine 1, que des travaux anciens chez l’animal avec une IL1 RA avaient montré un ralentissement de la dégradation du cartilage après induction d’une arthrose expérimentale, constatations retrouvées plus récemment dans des conditions identiques, certains auteurs ont introduit de la même manière un inhibiteurde l’interleukine  IL1RA (Anakinra) dans le genou arthrosique. C’est l’étude  de X. Chevalier, T. Conrozier, P. Goupille et col. (1) qui a comparé différentes doses de la substance introduite en une seule fois dans l’articulation avec un placébo. Ils ont inclus 160 patients. Il n’y a eu aucune amélioration pour l’ensemble des groupes à un mois ni aucune  modification de certains marqueurs de l’arthrose (CTX 2, acide hyaluronique, protéoglycane).  Cet essai négatif a été confirmé par une autre étude réalisée 1 an plus tard par une équipe américaine (2) utilisant un autre anticorps monoclonal anti IL1 (AMG 108) toujours dans l’arthrose du genou où l’effet du produit n’a pas dépassé celui du placébo sur le plan statistique.

Ainsi l’action sur l’ IL1 prise comme cible dans le traitement de l’arthrose ne semble pas être la bonne piste. Il faut noter cependant que les conditions du traitement pour l’arthrose sont sans rapport avec celles de la polyarthrite : injection locale intra articulaire contre injection sous cutanée à visée générale, injection unique contre injection journalière dans la polyarthrite. Est-il raisonnable de reprendre ces études avec une substance qui n’est pas neutre, comporte des risques secondaires non négligeables à court et moyen terme, dans une affection dont l’évolution ne comporte aucun risque vital ? On sait depuis peu que le rôle de l’IL1 dans l’arthrose n’est pas aussi évident qu’on avait pu le penser ? Toutefois d’autres études sont à nouveau en cours avec l’Anakinra dans l’arthrose érosive des mains. Attendons.

Le TNFα comme cible.

Le TNF alpha est une cytokine puissante de l’inflammation impliquée dans la polyarthrite. On a signalé que l’arthrose érosive des mains pouvait prendre une allure de cette affection inflammatoire justifiant l’idée d’utiliser des anti TNF comme dans celle-ci. Deux injections d’adalimumab administrées à la dose  de 40 mg à 15 jours d’intervalle  n’ont pas eu d’effet supérieur au placébo dans l’étude Dora (3) initiée encore par X. Chevalier. Elle regroupait 78 patients suivis pendant 6 semaines. Les auteurs ont cependant noté une diminution sensible du nombre de gonflement des articulations dans le groupe adalimumab.  Là non plus aucune modification des constantes biologiques n’a été relevée (cytokines, CRP, acide hyaluronique, COMP…). Ces résultats  sont comparables à ceux observés dans une étude monocentrique par G. Verbruggen dans la même indication d’arthrose des mains sur une  durée de 1 an chez 60 patients avec 40 mg d’adalimumab tous les quinze jours contre placébo (4). Il signale lui aussi que les articulations très enflées, qui sont prédictives d’une évolution érosive, réagissent mieux à l’administration de anticorps anti TNF.

Les résultats ne sont donc pas mirobolants et même s’ils montrent une tendance non significative à une petite amélioration des articulations les plus gonflées, il faut bien reconnaitre que l’on peut rester très frileux à l’idée d’utiliser ces substances avec leurs risques secondaires dans une affection certes très invalidante pendant un temps  mais qui finit par devenir indolore généralement après que la phase de reconstruction de l’articulation ait pris le dessus après la période douloureuse de destruction. L’ effet similaire à celui obtenu dans les polyarthrites recherché et justifiant son emploi n’est pas retrouvé dans l’arthrose. Un piste à lâcher ? Probablement: surtout en raison de son coût/efficacité.

Le NGF comme cible.  

Le NGF est une protéine qui a un rôle important dans la transmission de l’influx nerveux, au niveau périphérique. Cette substance permet l’activation des récepteurs à la douleur de type vanilloide qui sont sensibles aux stimuli mécaniques, thermiques (chaud et froid) et à certaines substances chimiques et que l’on trouve un peu partout comme sur la peau ou dans les articulations ou d’autres organes. Le NGF empêche ou réduit aussi la dégénérescence des neurones dans des modèles animaux de maladies neuro dégénératives, et ces résultats encourageants chez l’animal ont mené à plusieurs essais cliniques chez l’homme. Le NGF favorise la régénération des nerfs périphériques chez les rats et la reconstitution de la myéline pouvant le rendre utile dans la sclérose en plaques.  Un dérèglement du NGF a également été associé à la maladie inflammatoire d’Alzheimer. Mais on le trouve aussi en abondance dans le liquide synovial au cours de l’arthrose. Sa sécrétion est induite par des cytokines comme  l’IL-1 et le TNF (5). Ainsi un anticorps neutralisant, le tanezumab, a été créé contre cette protéine à caractère algogène et a été utilisé dans la cystite interstielle, affection très douloureuse et difficile à prendre en charge, avec de très bons résultats. Son activité puissamment antalgique a été aussi montrée pour les douleurs de l’arthrose dans une étude de Lane publiée en 2010 (6) portant sur 450 sujets atteints de gonarthrose répartis en plusieurs groupes recevant des doses différentes de l’anticorps (10, 25, 50, 100 ou 200 µg/kg)  ou un placébo par voie intraveineuse grace à deux perfusions séparées de 8 semaines. Ce travail a montré un effet antalgique rapide très important et dose-dépendant bien supérieur au placébo quelles que soient les doses reçues ( 45 à 62% contre 22% : p≤0.001). Les effets secondaires signalés et connus comportaient des dysesthésies des extrémités, des céphalées et des infections respiratoires. Une autre étude américaine réalisée en 2011 toujours avec le tanezumab de chez Pfizer(7) a porté sur 690 patients atteints d’arthrose de genou suivi pendant 9 mois. Ils étaient répartis en 4 groupes recevant 3 perfusions soit de 2,5, 5, ou10 mg de tanezumab soit un placebo . les résultats ont là aussi montré une nette supériorité antalgique du tanezumab sur le placébo à tous les dosages. Mais les effets secondaires ont été nombreux avec 5 arthroses destructrices rapides justifiant la mise en place de prothèses (4 hanches et 1 genou) conduisant à la suspension temporaires des études pour déterminer le rôle possible de cet antalgique puissant dans la genèse des destructions articulaires même si l’on a eu aussi un cas dans le groupe placébo. Une dernière étude récente (8) a été réalisée avec un autre anti NGF, le fulranumab de Janssen, chez 466 patients ayant une arthrose douloureuse chronique. Le produit est injecté par voie sous cutanée. Les auteurs ont constitué  6 groupes recevant des doses variables de l’anticorps en complément de leur traitement antalgique habituel. Tous les groupes ont été améliorés par rapport au placébo excepté celui qui comportait le dosage le plus faible et correspondant à 1 mg toutes les 4 semaines pendant 3 mois. Il y a eu là aussi des effets secondaires avec paresthésies, maux de tête et affections naso-pharyngées dans près de 20% des cas sans signalement de destruction articulaire rapide.

Il reste que les évènement indésirables articulaires graves retrouvés dans la plupart des études sur l’arthrose avec le NGF font un peu peur. Ils ressemblent aux arthropathies nerveuses et pourraient donc être en rapport avec une antalgie trop puissante. Cependant l’analyse des différentes études a montré que ces incidents majeurs apparaissaient toujours avec la présence concomitante d’anti-inflammatoires avec le traitement par anti NGF. La FDA a redonné un feu vert aux études en excluant les AINS.

On a là un traitement de la douleur dans l’arthrose mais on est loin du traitement de l’arthrose  puisqu’il serait même responsable d’un certain degré d’aggravation. Les paresthésies et céphalées dans 20% des cas sont aussi un frein à ce traitement que ne résout pas l’apparition et l’évolution de la  maladie.

Le TGFβ comme agent de réparation

Cette cytokines est impliquée de façon importante dans l’articulation pour favoriser la réparation du cartilage dans l’arthrose. Le TGFβ est aussi connu pour compenser la  plupart des effets délétères de l’ IL-1 et contribuer à l’homéostasie du cartilage (9).  Une équipe chinoise a montré que cette substance injectée dans une articulation temporo mandibulaire chez le lapin (10) réduisait significativement par rapport au placébo l’apparition des lésions d’arthrose induite par lésion préalable chirurgicale du disque articulaire. C’est une voie de recherche qui n’a pas encore été étudiée chez l’homme. Pourtant c’est par la stimulation  de cette cytokine qu’on a pu expliquer les effets bénéfiques des insaponifiables du soja et de l’avocat (11) ou ceux de de la diacéréine (12). Les médicaments issus de ces substances  vont cependant être déremboursés en France à partir de juillet 2013 en raison d’une insuffisance de preuve d’efficacité. Pourtant l’un d’entre eux (les insaponifiables du soja et de l’avocat) est à l’origine de l’étude Eradias (13) portant sur près de 400 patients qui a montré dans la coxarthrose son efficacité sur les patients «pinceurs», ceux qui vont le plus rapidement vers la prothèse.  

Notre avis

Il y a déjà 20 ans on traitait l’arthrose sans beaucoup  d’espoir avec les antalgiques, les antiinflammatoires par cure, les antiarthrosiques à action symptomatique lente comportant la glucosamine, la chondroïtine, les insaponifiables de soja et avocat, la diacéréine, les compléments alimentaires et enfin les infiltrations intraarticulaires de cortisone ou d’aprotinine  avec plus ou moins de bonheur pour les patients sans oublier bien sûr les moyens physiques dont la rééducation. Mais on se disait que bientôt on aurait la solution car on connaissait de mieux en mieux le mécanisme de survenue de l’affection. Une avancée importante dans le traitement symptomatique et peut-être structural a été apportée avec les acides hyaluroniques qui se sont petit à petit étoffés à travers des viscosuppléments de plus en plus performants et adaptés aux différentes articulations. Sans que l’on sache encore parfaitement le mode d’action de ces produits qui montrent de plus en plus de propriétés pharmacologiques, la majorité des patients et des médecins est convaincue aujourd’hui de l’utilité de ce traitement, d’autant qu’ils sont devenus quasi orphelins puisque dans le même temps : on a torpillé les anti inflammatoires au prétexte de réels effets secondaires digestifs graves mais aussi désormais cardio-vasculaires et rénaux, on a supprimé des antalgiques en raison d’effets secondaires notamment hépatiques sérieux sous des doses importantes et hors prescription.

Depuis quelques années avec la vision des merveilles que l’on peut faire dans la polyarthrite grâce à des thérapeutiques ciblées sur des maillons de la chaine de l’inflammation, on tente d’appliquer ces traitements à la grande sœur « arthrose ». L’inflammation qu’elle détermine, à un degré moindre, est peu différente puisque toujours dépendante de l’IL1 ou du TNF. Il faut bien reconnaitre que l’échec est patent sans comparaison avec les bénéfices obtenus chez la petite soeur. De plus le coût de tels traitements, même s’ils montraient une petite action dans des formes toutes particulières d’arthrose, rend totalement improbable la prise en charge de ceux-ci dans une période de crise où l’on en est à dérembourser les quelques médicaments, parfois pour les uns, souvent pour d’autres, efficaces et peu chers. On sait aussi que les prothèses articulaires sont de plus en plus parfaites, transforment la vie quotidienne de l’arthrosique lassé de souffrir et de ne plus bouger. Faut-il donc continuer à traquer le traitement idéal quand aucune voie de recherche n’apporte de satisfaction ? La réponse est oui, si l’on en a bien sûr les moyens ou si on se les donne car une véritable marée humaine de candidats à la prothèse se profile à l’horizon en raison du vieillissement de la population.  Les chiffres sont impressionnants : une étude espagnole (*) vient de montrer qu’il y avait eu 15.000 prothèses dans le pays en 1997, 22.000 en 2009 et 35.000 en 2012 ! Les Etats Unis prévoient d’avoir a gérer plus de 500.000 prothèses de hanche et près de 3.500.000 prothèse de genou d’ici 2030 soit dans un peu plus de 15 ans. Les chiffres en France  ne sont certainement  pas différents. Sommes-nous donc  prêts financièrement à prendre en charge cet afflux de patients et chez qui l’on supprime déjà, au prétexte d’économies, les « petits plus thérapeutiques » qui ne coutent pas grand-chose quand il font la preuve d’un petit effet même placébo (et pourquoi pas?) alors que pendant le même temps aucun effort national n’est réalisé pour une affection dont la recherche est laissée aux entreprises privées et à qui l’on supprime petit à petit dans le même temps les moyens de le faire. Une solution intermédiaire pourrait consister à développer rapidement les traitements locaux comportant l’acide hyaluronique sans contrindication particulière ou effet secondaire sérieux, les futures injections de cellules mésenchymateuses à condition de montrer la preuve de leur efficacité et d’être utilisables au quotidien. Les pouvoirs publics ont leur rôle à jouer en favorisant leur implantation par une prise en charge plus globale et peu chère comme elle le fera par obligation dans les décennies à venir avec des gestes chirurgicaux onéreux mais alors obligatoires, non dénués de risques d’échec affreusement couteux ou de mortalité par contre bienfaisante (!) pour les deniers publics.

Article inspiré par un article du Pr. X. Chevalier (14), complété  par des données personnelles et un avis.

Bibliographie

1- Chevalier X, Goupille P, Beaulieu AD, Burch FX, Bensen WG, Conrozier T, Loeuille D, Kivitz AJ, Silver D, Appleton BE. Intra-articular injection of anakinra (r-met-huIL-1ra) in osteoarthritis of the knee: a multicenter, randomized, double-blind, placebo-controlled study. Arthritis Rheum. 2009;61:344–352.
2- Cohen SB, Proudman S, Kivitz AJ, Burch FX, Donohue JP, Burstein D et al. A randomized, double-blind study of AMG 108 (a fully human monoclonal antibody to IL-1R1) in patients with osteoarthritis of the knee. Arthritis Res Ther 2010;13:R125.
3-Chevalier X, Ravaud P, Maheu E, et al. A randomized, multicentre, double blind, placebo-controlled trial of anti TNF alpha (adalimumab) in refractory hand osteoarthritis: the Dora study. Presented at the American College of Rheumatology Annual Meeting. Washington, DC; November 9-14, 2012; Presentation: 2472.
4- Verbruggen, G; Wittoek,R; Vander Cruyssen,B; Elewaut, D. Tumour necrosis factor blockade for the treatment of erosive osteoarthritis of the interphalangeal finger joints: a double blind, randomised trial on structure modification. Ann Rheum Dis 2012; 71:891–898.
5- Chevalier X, Eymard F, Richette P. Biologic agents in osteoarthritis: hopes and disappointments. Nat Rev Rheumatol 2013. Apr 2. doi: 10.1038/nrrheum.2013.44.
6- Lane NE, Schnitzer TJ, Birbara CA, Mokhtarani M, Shelton DL, Smith MD, Brown MT. Tanezumab for the treatment of pain from osteoarthritis of the knee. N Engl J Med. 2010 Oct 14;363(16):1521-31
7- Brown MT, Murphy FT, Radin DM, Davignon I, Smith MD, West CR. Tanezumab reduces osteoarthritic knee pain: results of a randomized, double-blind, placebo-controlled phase III trial. J Pain. 2012 Aug;13(8):790-8
8- Sanga P, Katz N, Polverejan E, Wang S, Kelly KM, Haeussler J, Thipphawong J. Efficacy, safety, and tolerability of fulranumab, an anti-nerve growth factor antibody, in the treatment of patients with moderate to severe osteoarthritis pain. Pain. 2013 Jun 5. pii: S0304-3959(13)00293-5.
9-Pujol JP, Chadjichristos C, Legendre F, Bauge C, Beauchef G, Andriamanalijaona R, Galera P, Boumediene K. Interleukin-1 and transforming growth factor-beta 1 as crucial factors in osteoarthritic cartilage metabolism. Connect Tissue Res. 2008;49(3):293-7.
10- Ying B, Chen K, Hu J, Man C, Feng G, Zhang B, Zhu S. Effect of different doses of transforming growth factor-β₁ on cartilage and subchondral bone in osteoarthritic temporomandibular joints. Br J Oral Maxillofac Surg. 2013 Apr;51(3):241-6.
11- Andriamanalijaona R, Benateau H, Barre PE, Boumediene K, Labbe D, Compere JF, Pujol JP. Effect of interleukin-1beta on transforming growth factor-beta and bone morphogenetic protein-2 expression in human periodontal ligament and alveolar bone cells in culture: modulation by avocado and soybean unsaponifiables. J Periodontol. 2006 Jul;77(7):1156-66.
12- Felisaz N, Boumediene K, Ghayor C, Herrouin JF, Bogdanowicz P, Galerra P, Pujol JP. Stimulating effect of diacerein on TGF-beta1 and beta2 expression in articular chondrocytes cultured with and without interleukin-1. Osteoarthritis Cartilage. 1999 May;7(3):255-64.
13- Maheu E, Cadet C, Marty M, Moyse D, Kerloch I, Coste P, Dougados M, Mazières B, Spector TD, Halhol H, Grouin JM, Lequesne M. Randomised, controlled trial of avocado-soybean unsaponifiable (Piascledine) effect on structure modification in hip osteoarthritis: the ERADIAS study. Ann Rheum Dis. 2013 Jan 23.
14- Chevalier X, Eymard F, Richette P. Biologic agents in osteoarthritis: hopes and disappointments. Nat Rev Rheumatol. 2013 Apr 2.
 
(*)  http://www.condroprotectores.es/la-epidemia-que-viene/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=la-epidemia-que-viene