L’ACIDE HYALURONIQUE DANS L’ARTHROSE DE CHEVILLE.

 Si l’ensemble des acteurs de la viscosupplémentation

s’accorde actuellement pour penser que ce traitement local par injection intra-articulaire d’acide hyaluronique (hyaluronate) est efficace dans la gonarthrose avec pour support un nombre important d’études, il en va différemment pour l’arthrose de la cheville où la technique a été transposée il est vrai plus tardivement avec un nombre nettement moins élevé de patients.

Cela est dû évidemment à la fréquence considérablement moindre de cette affection par rapport à l’atteinte du genou mais cela tient aussi au fait que l’articulation est considérée comme moins accessible à la fois anatomiquement et souvent par inexpérience liée à la rareté générale du geste.

Il n’en reste pas moins que cette arthrose est très invalidante et particulièrement douloureuse aboutissant très souvent et rapidement après son installation clinique à l’arthrodèse ou la prothèse. D’où l’intérêt de traitements qui retardent cette voie thérapeutique chirurgicale irréversible dans ses résultats.

Nous analyserons les travaux réalisés depuis 2008 relatifs à la viscosupplémentation dans la cheville.

Nous en avons retenu 8 dont l’un récent que nous rapportons de suite s’avère négatif.

De Groot et col (8) en janvier 2012 signalent l’absence d’amélioration obtenue avec une seule injection de 2.5 ml d’acide hyaluronique de bas poids moléculaire non réticulé par rapport au sérum salé de même volume considéré par les auteurs comme un placébo. L’étude portait sur 64 patients. Les scores (Ankle Osteoarthritis Scale score et EVA douleur patients) étaient notes à J0 puis S6 et S12 soit 3 mois. 56 patients ont terminé l’étude et 6 l’ont quitté prématurément. Il y a eu un pourcentage très restreint d’effets secondaires : 1.6%. Une amélioration de près de 5 points a été notée concernant le score AOS à 6 et 12 semaines pour le groupe HA tandis qu’une dégradation de moins d’un point à S6 puis une amélioration de de plus de 5 points à S12 était notée pour le groupe placebo sans qu’il y ait de différence significative pour ce qui concernait l’amélioration finale notée en moyenne dans les 2 groupes. Les auteurs concluent à la non supériorité de l’AH par rapport au placébo.

Différemment les autres études confirment l’intérêt de la viscosupplémentation.

Déjà en 2008 B. Carpenter aux USA utilisant le Hylan G-F 20 à haut PM et fortement réticulé dans les suites d’arthroscopie de cheville note une nette amélioration de la douleur statistiquement significative (p=0.0014) dans le groupe arthroscopie associé à trois injections à 7 jours d’intervalle de AH par rapport au groupe arthroscopie seule. Ils concluent à l’effet bénéfique d’une arthroscopie seule, ce résultat pouvant être amplifié par l’adjonction d’une visco-supplémentation.

La même année MM Cohen (2) à Miami entreprend un travail sur 30 patients atteints d’arthrose de la cheville confirmée par radiographies. Il constitue un groupe acide hyaluronique avec 5 injections hebdomadaires de HA (2ml de Hyaluronate de sodium) et un groupe témoin avec le même nombre d’injections d’une solution tampon de 2ml considérée comme placebo. Les scores d’étude sont l’AOS et une EVA douleur patient associés à un WOMAC à 3 et 6 mois. Environ 4/5° des patients ont terminé l’étude. A 3 mois le WOMAC et l’AOS étaient significativement améliorés dans le groupe HA avec p=0.04 pour une diminution de plus de 17 points de l’AOS dans le groupe HA contre environ 5 dans le groupe placébo. Les auteurs concluent à la supériorité du hyaluronate de sodium.

Fin 2008 D. Luciani (3) présente une étude de suivi sur 18 mois d’arthroses de chevilles traitées par Hylan G-F 20 avec 3 injections de 2 ml à 1 semaine d’intervalle. Il n’y a pas de groupe contrôle. Les points de comparaison par rapport aux chiffres de base se situent à M6, M12 et M18 et sont constitués par un AOS. Une amélioration significative (p=0.0001) est notée à M6. Elle se maintient sans changement à M12 et M18. La fraction douleur de l’AOS s’améliore constamment devenant statistiquement significative à M12 et M18 (p<0.05). On conclue à l’effet bénéfique de l’AH su un durée importante de 18 mois de suivi.

En 2009 SF. Sun (4) à Taïwan écrit un article sur la visco-supplémentation dans la cheville en reprenant et analysants les travaux antérieurs. Il confirme le peu de travaux réalisés, insiste sur la facilité de l’injection qui ne nécessite selon lui aucun guidage radiologique, précise le peu d’effet secondaires liés au geste. Il rappelle qu’une de ses études était positive avec une série de 5 injections hebdomadaires, une amélioration rapide dès les 5° séances et persistant après 6 mois malheureusement sans groupe témoin de comparaison. Il conclut à l’efficacité probable de l’AH dans l’arthrose de la cheville tout en souhaitant que d’autres études s’orientent vers la séquence thérapeutique la plus appropriée compte tenu de la diversité actuelle qui va de 1 à 5 injection hebdomadaire. En attendant il suggère d’utiliser cette viscosupplémentation après l’échec des autres traitements.

En 2010 en Israël O. Mei-Dan (5) rapporte un travail sur 16 patients. Ce groupe est hétérogène avec les âges allant de 31 à 79 ans, une durée d’évolution de 9 mois à 27 ans et des stades radiologiques allant de II à IV. Ils reçoivent 5 injections hebdomadaires de hyaluronate de sodium et sont évalués ensuite à S4, S6, S11, S17 et S32. 15 patients terminent l’étude tandis que 13 d’entre eux sont globalement améliorés. L’ensemble des scores dont l’AOS diminue de façon significative et cette amélioration se maintient au-delà de 7 mois. 2 sujets n’ont aucun résultat et un n’a pas terminé l’étude pour raison médicale indépendant de l’étude. Les auteurs concluent à un effet favorable de ce traitement conservateur.

Un travail de AG.Witteveen (6) en Hollande et la même année met en évidence l’efficacité de l’AH Orthovisc. L’étude comporte plusieurs bras : 3 groupes avec 1 seule dose de 1,2 ou 3 ml et 1 groupe recevant 3 injections hebdomadaires de 1 ml. 32 patients sont recrutés et suivis sur 4 mois (15 semaines). Le groupe 3 injections se distingue des autres dès la 7° semaine et cette amélioration se maintient tout au long de l’étude jusqu’à S17 avec diminution significative de la douleur  tandis que les trois autres groupes ne tirent aucun bénéfice de l’injection reçue. Les auteurs concluent au bon effet de trois injections hebdomadaire sans résultat pour l’injection isolée dans l’arthrose de cheville.

En janvier 2011 A.Migliore (7) à Rome fait une nouvelle revue de la littérature concernant la viscosupplémentation dans la cheville. Il regroupe 7 études concernant 275 patients, 4 stades radiologiques de I à IV et 4 viscosuppléments: Hyalgan, Synvisc, Supartz, Adant. Il conclut comme ses prédécesseurs à l’effet bénéfique probable de l’AH dans l’arthrose de cheville sans pouvoir en préciser la dose et le rythme idéal des injections.

Un dernier travail italien récent de Mars 2012 arrivant après l’étude négative de de Groot résumé au début de l’article vient à nouveau soumettre à discussion l’effet favorable potentiel de la viscosupplémentation dans l’arthrose de cheville. Ainsi M. Abate (9) pose clairement la question de savoir pourquoi l’AH n’a pas encore une place thérapeutique évidente dans cette indication malgré de nombreuses études très rassurantes et favorables et alors qu’elle est confirmée pour le genou, la hanche ou la TMC. Il incrimine alors le rôle néfaste du nombre important d’études réalisées sans groupe témoin. Il rappelle le caractère très particulier du cartilage qui compose cette articulation très rarement affectée par l’arthrose pourtant soumise à des pressions et contraintes très élevées. Il soulève ainsi le problème de la genèse largement post-traumatique de l’affection qui pourrait ainsi ne pas avoir une évolution métabolique classique. Il insiste enfin, à la différence d’autres auteurs mais à notre convenance, sur le grand flou des techniques d’injection utilisées dans les différentes études qui ne font jamais la preuve de leur situation strictement intra-articulaire. Il réclame donc plus de rigueur dans la réalisation des infiltrations intra-articulaires avec utilisation systématique pour les études à venir d’un guidage permettant de s’assurer de la position de l’aiguille dans l’articulation.

Conclusion

Malgré le caractère un peu particulier du cartilage de la cheville qui, on le sait est très épais, beaucoup plus « dur » et résistant que celui du genou ou de hanche par exemple, expliquant probablement la fréquence  rare de l’arthrose à ce niveau  souvent secondaire à une « fracture de cartilage » ou à des microtraumatismes par instabilité sur entorse ancienne grave, l’effet bénéfique d’une viscosupplémentation  dans cette articulation peut se mettre au niveau de celui obtenu dans les autres articulations. Le manque d’absolue certitude de l’administration intra-articulaire de l’AH est probablement responsable en partie des résultats souvent contradictoires de ce traitement. Cela vaut d’ailleurs pour toutes les articulations qui, contrairement à une opinion très répandue, ne sont pas aussi facilement injectées qu’on veut bien l’entendre. T. Boyer a largement montré dans un travail de référence que même le genou n’échappe pas à une technique irréprochable pour être traité. Il est évident à tous qu’un guidage est nécessaire pour la hanche, il devrait en être ainsi notamment pour la cheville, l’épaule, la TMC. Les études au niveau du genou devraient, elles aussi, inclure un critère d’injection intra-articulaire stricte tel que le retrait de liquide synovial. Un genou douloureux, condition nécessaire à la viscosupplémentation, contient toujours une quantité si minime soit-elle de LS que l’on peut aspirer affirmant ainsi la bonne position de l’aiguille. Les résultats des études en seraient probablement largement et  scientifiquement améliorés.

Toutes ces études montrent une grande variation dans les volumes et les concentrations des acides hyaluroniques injectés.

A la lumière de nombreux travaux fondamentaux portant sur ces diverses solutions, il est impératif de se souvenir qu’un minimum de volume avec un minimum de concentration d’AH dépendant donc de son PM est nécessaire pour assurer dans l’articulation une viscosupplémentation efficace et c’est bien là  tout l’intérêt  que peut apporter une nouvelle génération de viscosuppléments « pensés »  comme HappyCross®. Une dilution au ¼ dans un liquide synovial présent dans l’articulation du fait d’un épanchement supprime toutes les propriétés viscoélastiques de l’AH injecté quelle que soit sa présentation. D’où l’intérêt d’examens complémentaires préalables aux injections tels que l’échographie qui aura l’avantage de visualiser un éventuel épanchement. Sa présence poussera à retarder de 2 ou 3 semaines la viscosupplémentation  remplacée alors par une ponction-infiltration d’un corticoïde. L’échographie permettra aussi de pratiquer des gestes dirigés à chaque étape.

Enfin il faut être exigeant sur la qualité du produit commercialisé. Beaucoup ont un poids moléculaire annoncé supérieur à la réalité et peu arrivent à la barre des 2.000.000 !

A l’expérience, il n’y a pas plus d’effet secondaire indésirable dans cette articulation que dans d’autres. La tension de tension par remplissage y est peut-être plus intense mais ne dure pas plus d’une journée, demande du repos et des antalgiques au besoin. Les mêmes précautions d’asepsie sont à respecter ainsi que la même surveillance dans les jours suivants en se rappelant qu’une douleur et chaleur locale persistante après 48 à 72 heures est suspecte de complication infectieuse et doit être prise en charge en urgence.

 

 

 

(1) Carpenter B, Motley T.

The role of viscosupplementation in the ankle using hylan G-F 20.

J Foot Ankle Surg. 2008 Sep-Oct;47(5):377-84.

(2) Cohen MM, Altman RD, Hollstrom R, Hollstrom C, Sun C, Gipson B.

Safety and efficacy of intra-articular sodium hyaluronate (Hyalgan) in a randomized, double-blind study for osteoarthritis of the ankle.

Foot Ankle Int. 2008 Jul;29(7):657-63.

(3) Luciani D, Cadossi M, Tesei F, Chiarello E, Giannini S.

Viscosupplementation for grade II osteoarthritis of the ankle: a prospective study at 18 months’ follow-up.

Chir Organi Mov. 2008 Dec;92(3):155-60. Epub 2008 Dec 6.

(4) Sun SF, Chou YJ, Hsu CW, Chen WL.

Hyaluronic acid as a treatment for ankle osteoarthritis.

Curr Rev Musculoskelet Med. 2009 Jun;2(2):78-82. Epub 2009 Mar 13

(5) Mei-Dan O, Kish B, Shabat S, Masarawa S, Shteren A, Mann G, Nyska M

Treatment of osteoarthritis of the ankle by intra-articular injections of hyaluronic acid: a prospective study.

J Am Podiatr Med Assoc. 2010 Mar-Apr;100(2):93-100.

(6) Witteveen AG, Sierevelt IN, Blankevoort L, Kerkhoffs GM, van Dijk CN.

Intra-articular sodium hyaluronate injections in the osteoarthritic ankle joint: effects, safety and dose dependency

Foot Ankle Surg. 2010 Dec;16(4):159-63. Epub 2009 Nov 8.

(7) Migliore A, Giovannangeli F, Bizzi E, Massafra U, Alimonti A, Laganà B, Diamanti Picchianti A, Germano V, Granata M, Piscitelli P.

Viscosupplementation in the management of ankle osteoarthritis: a review.

Arch Orthop Trauma Surg. 2011 Jan;131(1):139-47. Epub 2010 Aug 10.

(8) DeGroot H 3rd, Uzunishvili S, Weir R, Al-omari A, Gomes B.

Intra-articular injection of hyaluronic acid is not superior to saline solution injection for ankle arthritis: a randomized, double-blind, placebo-controlled study.

J Bone Joint Surg Am. 2012 Jan 4;94(1):2-8.

(9) Abate M, Schiavone C, Salini V.

Hyaluronic acid in ankle osteoarthritis: why evidence of efficacy is still lacking?

Clin Exp Rheumatol. 2012 Mar-Apr;30(2):277-81. Epub 2012 Apr 13.