Chapitre 7. Le retour. C’est la goutte

Etienne s’est étendu sur le lit après s’être jeté dessus comme d’habitude. Il a vraiment bien, mais aussi beaucoup, mangé. Il a fait attention à l’alcool en se limitant à 3 coupes de champagne, le reste étant partagé entre sa fille et son épouse. Il est minuit largement passé désormais mais il peine à s’endormir. Le pied droit recommence à lui faire mal et il ressent une gêne au poignet gauche comme s’il se l’était « tordu ». Cela lui était déjà arrivé une fois il y a 3 ans après une journée passée à peindre un plafond. Il a beau tourner et retourner dans le lit, il ne trouve aucune bonne position. Il décide de se relever pour prendre 2 paracétamol en réveillant au passage son épouse qui s’inquiète de cet état et en trouve, bien sûr, vite la raison : « Etienne, tu manges trop depuis 15 jours (elle exagère déjà !). Ce n’est pas bon pour toi de manger autant de charcuteries, d’huitres, de chocolats et tout le reste. En plus, toi et ton gendre, vous avez bu beaucoup ces jours-ci (ça y est, c’est l’argument choc !) et je ne serais pas étonnée que tu fasses de la goutte ! D’ailleurs quand j’ai voulu parler l’autre jour chez le rhumatologue, tu m’en as empêché mais j’aurais dû lui demander de parler de régime pour les « rumatisses« . A partir de demain régime pour tous ! ». Inutile de répondre que les prises de sang sont normales, ce qui exclue la goutte, puisque les femmes ont toujours raison.  Notre homme avale ses comprimés et se recouche. Au bout de ¾ d’heure les douleurs ont diminué de moitié en intensité et il peut enfin s’endormir.

A 7 heures, c’est le réveil général, Etienne a mal au pied et au poignet. Il a heureusement préparé toute la voiture hier soir et il n’y a plus que les valises. Elles sont prises en charge par les « valides ». Un dernier tour dans l’appartement permet de vérifier que les robinets sont bien fermés. Le chauffage est laissé et les clefs sont posées sur la table du séjour. Le service de ménage de l’agence viendra les récupérer dans la matinée puisqu’ils ont choisi le forfait nettoyage en fin de séjour. La porte est simplement tirée et tout le monde s’engouffre dans la R16 déjà bien chaude qui attend depuis 10 minutes devant le chalet, moteur au ralenti.

La descente jusqu’à Saint Martin de Belleville ne pose aucun problème, il n’y a personne sur la route. Ensuite ce n’est qu’un problème de patience si l’on trouve du monde. Etienne n’est pas très bien, a mal et ne sait pas où mettre son poignet qu’il tient de l’autre main. Il ne parle pas car il connait déjà les réflexions prêtes pour sortir. Il n’a qu’une hâte c’est de rentrer à la maison où il pourra alors aviser.

Il est 14 heures quand les premières maisons de l’agglomération sont atteintes et 5 minutes plus tard tout le monde est en bas de l’immeuble. Etienne ne touche rien, ne porte rien et laisse son gendre descendre la voiture pleine au garage : on règlera le déchargement plus tard. Il prend l’ascenseur pour monter à l’étage, ouvre la porte palière et se précipite dans son fauteuil. Il « arrache » la chaussure droite de la main gauche ce qui apparemment le soulage très vite. Il va à la cuisine et prend un grand verre d’eau pour avaler un comprimé d’antiinflammatoire qu’il a mis de côté avant de partir de Val Thorens au cas où en route il aurait dû s’arrêter. Il va s’étendre sur son lit où il s’endort.

Tard dans la soirée il se réveille surpris de n’avoir pas trop mal. Il n’a pas faim et ne veut pas manger. La voiture a été déchargée et bien rangée. Fille, gendre et petit fils sont repartis chez eux. Il va regarder la télévision en pensant à demain. Il téléphonera à son « amie » Catherine qui lui passera le Docteur Gérard Manfaimieux, il lui expliquera ce qui s’est passé et lui demandera ce qu’il faut faire. En ce soir de premier de l’an, aucune émission ne lui convient et il zappe au grand désespoir de madame qui veut revoir le film « Le corniaud » et il tombe sur une émission de vulgarisation médicale qui justement parle des excès de table pour les fêtes et explique ce qu’est l’acide urique et ses conséquences comme la goutte. Il découvre ainsi que cette maladie due à un défaut enzymatique peut toucher l’ensemble des articulations comme le poignet, le genou, la cheville ou le pied, peut se manifester par des crises aigues articulaires mais aussi par des douleurs chroniques, peut finalement abimer les reins après les articulations. Si du côté de l’épouse les mots jaillissent en signe de victoire, Etienne est tassé au fond du fauteuil, blême et choqué : il est mort dans le mois qui vient et ne veut plus lutter. Il va aller s’étendre pour absorber toutes ces mauvaises nouvelles même s’il ne souffre pas beaucoup. Il s’endort à nouveau en pensant que son taux d’acide urique est quand même normal.

Nous sommes le 2 Janvier au matin après une nuit sans problème. Etienne a repris un comprimé d’antiinflammatoire au petit déjeuner et a attendu 9 heures pour appeler le rhumatologue. Il l’a eu tout de suite sans même passer par la secrétaire. Il a tout raconté et a découvert qu’il avait probablement fait une crise de goutte du pied et du poignet, qu’il fallait refaire la prise de sang car le taux d’acide urique est souvent anormalement bas au cours des crises et remonte entre celles-ci, qu’il ne faut pas qu’il s’inquiète, que cela ne change rien au programme de viscosupplémentation prévu pour le genou, qu’il passe chez son médecin traitant dans l’après-midi qui aura préparé une ordonnance pour le laboratoire, le radiologue et la pharmacie sur les conseils téléphoniques du spécialiste et qu’il garde son rendez-vous du 10 janvier.

C’est ainsi que notre « goutteux » se retrouve vers 17 heures devant le docteur Choisy qui regarde le poignet et le pied. Le premier est chaud, un peu rouge et enflé tandis que le second ne montre aucun signe particulier. Le diagnostic est formel: c’est une crise de goutte. Des ordonnances ont en effet été proposées par le spécialiste que confirme le médecin généraliste : biologie avec taux d’acide urique, de l’urée et de la créatinine pour apprécier la fonction rénale, radiographies des 2 poignets et des 2 pieds, colchicine en comprimés de 1 milligramme à quantité rapidement décroissante à la place de l’antiinflammatoire et glace sur le poignet. Tout est clair, rien ne manque. En sortant Etienne ressent une petite douleur dans le genou gauche à la descente des escaliers et sur le trottoir. Il marche un peu monte prendre rendez-vous chez le radiologue et sur le retour auprès du laboratoire. Il a pu tout grouper pour le lendemain matin, ce qui est parfait. Il s’arrête à la pharmacie et récupère le médicament: il n’a pas la carte Vitale. La boite de 20 est à 2.20 euros: il paye sans discussion car il veut être soulagé rapidement et n’aura pas ainsi à revenir. Il n’écoute pas ce que lui dit le pharmacien tout occupé à regarder la boite blanche aux inscriptions bleues que ce dernier tient dans sa main et qu’il voudrait lui arracher pour rentrer plus vite.

Un peu fatigué, le genou sensible et le pied douloureux, il a mis sa main droite dans la poche du pardessus, ce qui lui soulage un peu le poignet. Il rentre à la maison pour prendre le premier comprimé de colchicine de sa vie (ça c’est un vrai médicament, a-t-il vaguement entendu chez le pharmacien). Un peu rassuré par les propos des médecins, il pense tout d’un coup à ses promenades d’enfance dans « ses » petites montagnes à l’automne où les prairies sont recouvertes par endroits de petites fleurs violettes : les colchiques. C’est donc cela, ces plantes qu’on ne voulait pas qu’il cueille car pleines de « poison » .

« Colchiques dans les prés fleurissent, fleurissent, colchiques dans les prés c’est la fin de l’été… » se met-il à chanter. Il va mieux, il ira mieux !