Chapitre 4. Nuit de Noël et départ à la montagne

Etienne Saint, on s’en souvient, avait eu très peur quand on lui avait annoncé la présence de cristaux de pyrophosphate dans le liquide synovial de son genou gauche. Il avait quand même été largement rassuré par les propos du rhumatologue qu’il avait recontacté après l’obtention des résultats au laboratoire. Mais en plus son genou était allé de mieux en mieux au fil des jours qui avaient suivi l’infiltration de cortisone et il avait pu faire toutes les courses de Noël que lui imposait l’organisation du réveillon et du sapin. Cette année c’était à son tour puisqu’ils allaient tous partir le 25 au matin de chez lui pour Val Thorens. Ils étaient assurés d’avoir de la neige en ce début de saison d’autant que cette année 2012 avait vu des chutes importantes et précoces. Il avait pu reprendre le chemin du stade pour y arbitrer 2 matchs entre benjamins, ce qui lui avait permis de constater que son genou était redevenu stable et indolore, n’ayant plus cette impression si pénible de flottement et de dérobement quand il avait eu cet épanchement.

Tout avait pu être fait dans les temps y compris la révision des fixations de ski et le montage des barres de toit de la voiture. Il avait cependant eu quelques difficultés dans les 2 genoux quand il avait dû s’accroupir longtemps et de façon répétée pour mettre les roues à pneu-neige à la place des habituelles. Cela faisait d’ailleurs quelques temps qu’il avait remarqué ces difficultés douloureuses à la flexion extrême des genoux. Il s’y associait des petits craquements sonores désagréables.

Le repas au soir du 24 lui avait permis de constater qu’il n’avait pas perdu son « coup de fourchette » et que les huitres suivies d’un demi homard bleu normand de Carteret ne l’avaient pas empêché de se régaler aussi les papilles avec une magnifique cuisse d’oie farcie cuite en croute de sel accompagnée de marrons et de pommes reinettes. Un Saint Marcellin crémeux de chez « la Mère Richard » avait suivi, précédant une buche au 3 chocolats. Le diner avait été arrosé par un Riesling puis un Condrieu, un Chateauneuf du Pape et enfin un champagne Ruinart emmenant les convives, ajouté à l’euphorie des douze coups de minuit, au pied du sapin tout illuminé. L’hélicoptère acheté pour le petit-fils (qui ne croyait plus au père Noël depuis qu’il avait eu la permission de réveillonner il y a 1 an) attendait sagement d’être déballé au milieu de nombreux autres petits paquets aux papiers brillants et multicolores mélangés aux papillotes au chocolat Valrhona, aux calissons d’Aix et aux mandarines corses. Etienne avait ouvert ses paquets et avait trouvé une paire de genouillères (cadeau du gendre et de sa fille), un feu arrière de recul avec radar pour la voiture (sa femme avait remarqué qu’il avait des difficultés à tourner le cou infoInfopourrait être une manifestation d'arthrose cervicaledans les marches « arrière »). Quant au petit-fils il avait offert sur les conseils de sa grand-mère un bracelet en cuivre argenté qu’ils avaient acheté ensemble à la Pharmacie du Centre. Un conseiller de cette officine avait promis des résultats étonnants sur les douleurs rhumatismales.

En somme pour Etienne c’était le premier Noël dédié au handicap articulaire et le tir était groupé ! Et c’est avec des sourires crispés qu’il avait consenti aux remerciements et embrassades  pour terminer vers l’engin volant qu’il s’était alors attaché à remplir de piles électriques tant dans le corps que dans la télécommande pour le mettre en route. Comme un gamin, il avait subtilité le jouet et s’était lancé dans les premiers essais en vol de l’appareil sous l’œil ébahi de toute la famille. Là au moins, il n’y avait pas de restriction ou de handicap sinon la proximité des murs !

Il avait ensuite été décidé de repousser de quelques heures le départ du matin car le compte des cadavres de bouteilles avait laissé apparaitre une consommation importante d’alcool justifiant unrepos supplémentaireinfoInfoLe taux d'alcoolémie diminue d'environ 0.10g/l toutes les heures. Il faut 5 heures pour ramener un taux de 0,50 g/l à 0. d’au moins 4 heures avant de prendre le volant. Tant pis, on arriverait en début de soirée mais il n’y aurait pas de repas à faire puisqu’il y avait beaucoup de restes  à emmener.

A 2 heures du matin Etienne s’est couché avec des genoux un peu douloureux mais il s’est dit que tout cela était bien normal avec la fatigue de la journée. Vers 4 heures il a ressenti une impression de chaleur douloureuse sur l’avant–pied droit qui a duré en l’obligeant à se lever plus tôt que prévu. Un bon café noir et quelques pas dans la cuisine ont fait disparaitre la douleurinfoInfoLa crise de goutte commence la nuit et cède au petit matin ou au lever du soleil: au chant du coq.. Il s‘est demandé s’il n’avait pas un peu exagéré au cours du réveillon. Mais ce ne pouvait pas être la goutte car ce n’était pas une douleur du gros orteilinfoInfola crise aigue de goutte commence dans 30% des cas dans une autre articulation que le gros orteil.. Chacun sait que c’est cela; la crise de goutte. Il a quand même pris 2aspirineswarningWarningl'aspirine n'est pas recommandée dans la crise de goutte car elle interfère au niveau rénal avec l'élimination de l'acide urique et de la vitamine C pour se mettre en forme. Il est 8 heures  et tout est encore noir et endormi dehors. Il pleut et il fait 5°C. Il va chercher le bracelet de cuivre qui est sur le buffet et le met au poignet gauche (celui du cœur !), il range les genouillères dans la valise (on ne sait jamais !) et va ouvrir le poste de radio pour écouter le bulletin d’enneigement sur France Bleu qui s’avère excellent malgré les risques d’avalanches mais il ne fera que du ski de piste. Il descend au garage pour vérifier si rien n’a été oublié dans la voiture et si les chaines-neige sont bien dans le coffre. Il s’accroupit sous le pare-chocs arrière pour voir comment il pourra fixer le phare de recul. Sa R16, dernier modèle de base année 1981, n’en possède pas. Il lui faudra une bonne journée pour tirer une ligne électrique et percer la jupe arrière. Il fera cela au retour. En se relevant, il ressent une vive douleur à l’intérieur du genou gauche qui descend jusque sur le dessus du pied. Elle ne dure pas et disparait dès les premières marches d’escalier pour remonter à l’appartement. Il se dit cependant que rien n’est terminé pour ce sacré genou car il y a toujours quelques douleurs et de la gêne dès qu’il sort un peu de la marche normale. Et puis il y a cette douleur au pied droit et maintenant à gauche qui est nouvelle et qui ne ressemble pas à celle du genou, : c’est plutôt une sensation de fer rouge ou de cuisson même s’il n’a jamais été marqué comme esclave ou vécu le sort de l’oie d’hier pour faire la comparaison.

Il ne parlera de cela à personne, il verra bien demain. Pour l’heure tout est prêt pour le départ. Il attendra quand même le début de l’après-midi pour partir tranquillement avec quelques heures supplémentaires pour évacuer totalement la présence d’alcool dans le sang. Il en profitera pour vérifier sa petite mallette de pharmacie courante (aspirine, paracétamol, pansements, une bande élastique, un tube de Capsaïne et de Cicatendon pour les douleurs et tendinites, une poche à froid a base de nitrate d’ammonium). Tout est parfait.

Il est 10 heures 30 quand toute la famille se réveille et s’agite. C’est la fièvre du départ. Et déjà le gendre qui lance sa première vanne de la journée : « Alors Papy, ça a été avec le bracelet au poignet cette nuit ? Pas trop souffert ? ». « Il est odieux ce garçon », se dit Etienne qui n’envisage même pas de poursuivre le dialogue mais se dit qu’il aurait dû le mettre au coucher. Il aurait ainsi pu tester son efficacité sur ces douleurs du petit matin. De bruits de douche en sèche-cheveux ou rasoir, de ronflement de micro-onde en chocs de tasse et de cuillère, tout le monde est prêt vers midi et demi et descend l’escalier qui mène au garage pendant qu’Etienne vérifie que la chaudière est en hors-gel, que les robinets sont fermés ainsi que les lumières. Il sort enfin, tire la porte qu’il ferme à double-tour. En se retournant il ressent à nouveau cette douleur sourde du genou qu’il avait oublié depuis plus de 10 jours. Le ski va arranger tout cela, c’est sûr !