Chapitre 19 Methacrylate et hyaluronate: le couple de la Saint Valentin?

Le jeudi tant attendu puisqu’il correspond à la dernière injection d’acide hyaluronique dans le genou droit d’Etienne est arrivé. Il a reçu le viscosupplément en fin de matinée alors que le Dr Manfaimieux revenait de l’hôpital. Il était le premier et n’a donc pas attendu. Il a à nouveau répondu aux questionnaires de qualité de vie qui animent la consultation. Il a considéré qu’il était vraiment amélioré n’ayant plus de douleurs de repos ou de marche. L’injection s’est déroulée sans incident avec une seringue toujours aussi opaque qui empêche le voir le produit injecté. Notre patient est persuadé qu’il a le nouveau produit parce qu’il n’a jamais ressenti aucune douleur au cours et après les 3 injections alors qu’il avait un peu souffert avec le précédent traitement dans le genou gauche. Pour en être certain il faudra qu’il attende la levée de l’anonymat à la fin de l’étude, ce qui va demander de nombreux mois malgré tout. Il va revoir dans un mois le médecin puisqu’il est toujours sous protocole et cela pendant encore 10 semaines.

Il a parlé à nouveau de son épaule et le rhumatologue a proposé que l’on fasse un bilan échographique dans quelques jours car l’appareil est à nouveau opérationnel. C’est avec ces résultat qu’il pourra décider ou non d’une viscosupplémentation  et à la condition que l’arthrose fasse à nouveau parler d’elle : il faut en effet que la coiffe des rotateurs ne soit pas trop abimée. Il est conseillé à Etienne de reprendre une vie tout à fait normale sans restriction. Il reviendra dans 10 jours pour l’examen.

Il est reparti vers midi trente d’un pas léger alors que le ciel est tout bleu sans un nuage bien balayé par un petit vent du nord qui fouette le visage. Il s’est arrêté chez le fleuriste pour prendre trois belles roses rouge-grenat car aujourd’hui c’est la Saint Valentin et il apporte chaque année quelques fleurs à son épouse. Il a entamé la discussion avec le commerçant qui n’a plus de client à cet instant. Il lui a expliqué le traitement qu’il venait de recevoir pour son genou et il a la surprise d’apprendre que le marchand de ses roses est le numéro 17 de l’étude gonarthrose-acide hyaluronique-sorbitol. Il a été inclus dans l’étude il y a 2 mois parce qu’il souffre d’une arthrose fémoro-tibiale interne suite à une méniscectomie un peu intempestive il y a 3 ans après qu’il ait présenté de violentes douleurs du genou ayant justifié une IRM. Elle avait montré une fissure horizontale du ménisque. Il avait appris ensuite qu’il s’agissait plus d’une arthrose débutante que d’une lésion méniscale traumatique justifiant un geste chirurgical. Le mal était fait quand il avait consulté le docteur Manfaimieux qui l’avait parfaitement rassuré au demeurant quant à l’avenir de son articulation. Aujourd’hui il allait d’ailleurs très bien et ne se ressentait pas de cette articulation malgré le froid et l’humidité imposée par son métier. Il etait devenu fanatique de cet acide hyaluronique depuis qu’il avait eu l’an dernier en avant-première une injection de Happycross dans la cheville, siège d’une arthrose post-traumatique sur séquelles de fracture bi malléolaire de l’articulation après une mauvaise chute à ski il y a 17 ans. Il avait eu antérieurement à l’injection réalisée en octobre  une infiltration de cortisone sans résultat et les traitements généraux n’étaient jamais arrivés à le calmer parfaitement. Cette viscosupplémentation l’avait transformé et il avait pu remarcher normalement sans avoir la hantise des trottoirs et des irrégularités du terrain. Il avait lui aussi beaucoup étudié cette macromolécule de caractère ubiquitaire dans les organismes animaux qui n’avait pas de spécificité d’espèce. Ceci  avait permis d’utiliser dans les préparations de première génération l’acide hyaluronique provenant des crêtes de coq très riche en cette substance. Aujourd’hui et malgré le fait que ces extraits aviaires existaient toujours, la tendance était à l’utilisation de hyaluronates d’origine bactérienne. Il avait comparé cette longue chaine sucrée de haut poids moléculaire qui retenait l’eau entre ses mailles formées par des liaisons inter chaines dans l’espace aux produits hydro rétenteurs qu’il utilisait sous forme de granulés à incorporer aux supports des plantes. Ces substances étaient capables de capter jusqu’à 400 fois leur poids en eau. 1 gramme de rétenteur pouvait retenir 400 millilitre d’eau. C’étaient des polymères dérivés de l’acide acrylique, un composé hydrocarboné à 3 atomes de carbone. Il avait ainsi découvert que l’acide hyaluronique était lui aussi un polymère composé d’une succession de disaccharides eux aussi formés d’hexoses hydrocarbonés à 6 atomes de carbone : un acide glucuronique associé à une N actetyl glucosamine.  Il s’amusait d’ailleurs depuis longtemps à faire gonfler les grains de méthacrylate qu’il récupérait  quand il préparait ses substrats pour plantes : ceux-ci formaient de très jolies perles de couleur quand ils absorbaient l’eau teintée sur laquelle ils étaient posés. Cette capacité de  rétention d’eau était du même type que celle qui caractérisait l’acide hyaluronique.

Etienne venait d’apprendre encore quelque chose ! Décidément cette avenue recelait nombre de petits savants autodidactes, tous curieux des choses de la nature. Cela lui faisait grand plaisir. Il avait aussi entendu une nouvelle fois que les viscosuppléments récents de seconde génération étaient bien supportés, très antalgiques et efficaces.

Le fleuriste avait fait l’emballage des roses pendant qu’il avait raconté ses histoires. Il avait mis les tiges dans un tube en plastique transparent qui comportait au fond des grains de méthacrylate. Il avait mis de l’eau et ils s’étaient transformés en gel. Il avait entouré fleurs et tube d’une feuille de cellulose transparente et avait remis le tout à Etienne qui s’était vu opposer un refus catégorique de paiement: cadeau de la maison! Le commerçant était trop content d’avoir pu parler un peu de traitements modernes avec un interlocuteur avisé, il lui avait même proposé une nouvelle discussion autour d’un verre chez lui un soir et avec madame.

Etienne sort du magasin vers 13 heures. Il a heureusement les fleurs. Elles permettront probablement d’éviter quelques remarques car il est en retard et sa femme doit attendre pour le déjeuner depuis un bon moment.

Il se prend à courir le long des immeubles qui bordent l’avenue et pénètre dans l’allée de l’immeuble. L’ascenseur est en panne : un bon moyen d’essayer ces genoux tout neufs. Il grimpe deux par deux les 48 marches qui le mènent sur son palier. Il n’a ressenti aucune douleur, il est seulement un peu essoufflé. Il met la clef dans la serrure quand la porte s’ouvre en même temps : madame est là et lui saute au cou en arrachant le bouquet de fleurs. Il entend « Bonne fête » puis un petit bruit de quelque chose qui tombe par terre. C’est le tube de plastique qui entourait les tiges de fleurs qui git désormais dans le hall d’entrée. Le gel qui en est sorti forme un petit monticule translucide entre les pieds entrecroisés du couple qui s’embrasse.