Chapitre 14. Etienne reprend espoir

Etienne s’était endormi avec un genou gauche douloureux mais vendredi matin au lever tout avait l’air d’être rentré dans l’ordre. Il avait passé une très bonne nuit. Il avait pu faire le marché avec madame dans la matinée, passant dans les travées d’étalages en étalages aux couleurs et odeurs variées. C’était uniquement un marché alimentaire où l’on ne retrouvait que les producteurs locaux. Les Saint avaient acheté un très beau poulet fermier, une belle tranche de veau pour un bon rôti. Ils avaient trouvé les derniers jolis kakis orange marron blets sur branche : le couple adorait ces fruits pleins de vitamine A et C (dit-on), de potassium et de magnésium et de pigments antioxydants (c’est surement bon pour l’arthrose). Ils avaient fait le plein d’oignons et poireaux pour les soupes du soir avec carottes et pommes de terre, de brocolis, petits navets blancs et céleris pour les plats chauds, clémentines à jus, pommes et oranges pour les desserts. Les cabas avaient vite été remplis et Etienne avait dû faire un deuxième voyage pour acheter les fromages blancs et briques de vache dont il se régalait tout au long de la semaine. Il n’oubliait jamais d’entretenir son capital calcium, de surveiller d’ailleurs celui de son épouse qui, trop contente de surveiller sa ligne, évitait à son avis trop souvent les laitages (il lui achetait ainsi régulièrement des bouteilles d’eau riche en calcium variant entre la Contrexéville et l’Hépar pour compenser cette erreur).

De marcher, de piétiner et de porter les sacs par ce temps froid avec un petit vent glacial ne lui avait déclenché aucune douleur que ce soit aux bras ou aux jambes et il en avait été tout surpris en s’asseyant à midi dans son fauteuil pour lire son hebdomadaire qu’il avait pris à la maison de la presse avec le programme télévisé. Il y avait justement un article sur les nouveaux traitements de l’arthrose que l’on proposait à Montpellier : des injections de cellules dans les articulations atteintes d’arthrose pour refaire du cartilage comme il l’avait compris, et pourtant il avait lu il y a quelques jours que le cartilage était un des seuls tissus de l’organisme qui ne pouvait pas se réparer ! Allez savoir ! Il avait détaché cette fois-ci les feuilles du magazine pour garder les références car il avait déjà entendu parler de cela sans se souvenir de tous les détails. Il s’était offert un apéritif sans alcool à base de gentiane qu’il avait trouvé très agréable et après quelques images sur l’écran de télévision tournant en boucle et montrant le retour de Florence Cassez et des images concernant le mariage pour tous qui l’avaient énervé, il avait pris un bon repas suivi d’un bon café. L’après-midi avait été consacré à ranger les photos dans l’ordinateur. Vers 16 heures il était allé au stade car il y avait une réunion avec la municipalité pour des modifications de règlement intérieur en raison des dégradations de matériel de plus en plus fréquentes. Il était aussi conscient depuis longtemps qu’il fallait redonner un peu d’ordre face aux fréquentations sauvages de plus en plus évidentes. Il avait repris le ballon malgré des chaussures de ville totalement inadaptées à la pelouse et avait tapé quelques pointus vers une cage tenue par l’adjoint aux sport qui était venu en survêtement. Il n’avait eu aucun problème et il était même tombé une fois en se retenant sur les bras en arrière sans ressentir quoi que ce soit. Il avait été franchement content de retrouver ce semblant de forme même si au cours de la réunion qui s’était déroulée ensuite, il avait ressenti étant assis des douleurs dans le genou droit qui l’avaient obligé à étendre la jambe. Il était rentré en début de soirée avec le radiologue qui faisait partie du conseil d’administration de l’association municipale section football. Ce dernier lui avait proposé de venir prendre l’apéritif chez lui et Etienne avait vite accepté se disant qu’il allait pouvoir parler de son arthrose (c’était un docteur et il en savait surement plus que lui). Le médecin habitait une belle maison individuelle entourée d’un petit jardin entièrement éclairé par des dizaines de petits spots qui donnaient avec le noir du ciel et le brouillard qui était descendu une atmosphère fantomatique aux arbustes éparpillés sur toute la surface. Notre héros s’était offert un petit extra et avait pris un whisky : c’est bon pour le cœur lui avait dit l’homme du métier, ce qui confirmait une nouvelle fois ce qu’il avait toujours entendu dire. Il avait cependant raconté son histoire de goutte et d’acide urique justifiant ainsi un refus pour un 2° verre. Au cours de la conversation, ils avaient donc évoqué l’arthrose et ses conséquences même si le radiologue, trop jeune pour en avoir (il n’avait pas 45 ans), ne paraissait pas comprendre l’invalidité qui pouvait s’associer à cette affection qu’il rencontrait tous les jours sur les centaines de clichés radiologiques qu’il faisait alors que la plupart des malades venaient faire des radiographies pour tout autre chose que des douleurs articulaires. Etienne avait ainsi appris qu’il était extrêmement rare de ne pas trouver de lésions d’arthrose articulaires et/ou vertébrales après la  soixantaine. Ainsi toute arthrose n’était pas forcement symptomatique. Cela confirmait ce que lui avait dit au cours d’une consultation le Dr Manfaimieux : on ne soigne jamais une radiographie mais son bonhomme : le bon sens quoi !

A propos de ce rhumatologue, le radiologue lui avait confirmé qu’il était « bon », avec un excellent diagnostic et de bons doigts (est ce qu’il dirait autrement ? Entre docteurs on se soutient !). Ils avaient tous deux parlé du nouveau traitement proposé à Montpellier mais qui se faisait aussi semble-t-il à Marseille et dans d’autres établissements de soins en France. Ce n’était pas une technique simple, elle demandait beaucoup de précautions, elle comportait beaucoup de risques d’asepsie, elle n’en était qu’au stade expérimental et il fallait surement attendre. Ils en étaient revenu à l’acide hyaluronique et le praticien avait fait part de son impression un peu faussée par le fait qu’il faisait le geste sans suivre ensuite le patient : son impression était bonne dans la hanche et la cheville, ce qu’il faisait le plus souvent pour des confrères qui ne voulaient ou ne savaient pas faire. Il était d’ailleurs surpris de cet état de choses car c’était bien selon lui du ressort des rhumatologues, des médecins de rééducation-réadaptation et orthopédistes, seuls habilités en principe à proposer cette thérapeutique. Peu en faisaient en dehors du genou, seul geste remboursé une fois par an et par genou et réalisé par ces seuls médecins. Ils avaient d’ailleurs abordé le problème que peut poser ce hiatus qui existe entre le cadre strict de la prise en charge de ce traitement articulaire et la localisation de la lésion arthrosique. A tissu articulaire malade identique, seule la gonarthrose était prise en charge ! Les surprises des décrets et arrêtés ! Ils avaient aussi évoqué l’acide hyaluronique associé au sorbitol et le praticien lui avait parlé d’un autre produit associé au mannitol, Happycross, qu’il utilisait avec bonheur depuis quelques semaines dans la hanche, l’épaule et la cheville : il ne semblait pas suivi de réactions douloureuses après les injections et ne nécessitait en principe qu’une injection par traitement. Le mannitol et le sorbitol était deux sucre-alcools  antioxydants de formule chimique voisine, capteurs de radicaux libres et utilisés depuis longtemps en médecine dans de nombreuses pathologies chez l’enfant comme chez l’adulte. Cette information avait renforcé Etienne dans l’idée que lundi il passerait au cabinet du rhumatologue afin de donner son accord pour le nouveau traitement : il ne l’avait pas fait ce matin parce qu’il avait voulu réfléchir encore.

Il était presque 21 heures quand notre homme s’était enfin levé du fauteuil. Il avait beaucoup appris, il avait été parfaitement rassuré. Cette discussion l’avait beaucoup aidé et il avait intégré que cette arthrose n’était pas toujours inéluctablement douloureuse puisqu’il y avait probablement plus de sujets arthrosiques sans douleurs que de patients atteints d’arthrose douloureuse dans sa tranche d’âge. IL pouvait donc espérer que la poussée algique actuelle qui le préoccupait allait céder avec un peu de patience.

Il était rentré chez lui avec le col de son manteau remonté sur son cou qui le taquinait depuis qu’il était sorti sur le perron de la maison de son hôte (il y avait à ce niveau un courant d’air glacial qui l’avait surpris et il y était très sensible). Il avait oublié de prévenir sa femme de son escapade, il avait oublié d’ailleurs son portable.

Il a été reçu de la manière la plus fraiche qui soit. Il n’a pas bronché sous les à-coups verbaux sonores qui l’on envahi pendant qu’il a posé le pardessus et qu’il s’est assis à table devant une soupière qui avait dû cesser de fumer depuis longtemps. Il n’a pas osé demander qu’on la réchauffe et a commencé à se servir. Il n’a pas pu poursuivre car madame à brutalement enlevé la soupe pour la remettre sur la gazinière.

Tu le sauras une soupe ça se mange chaud depuis que mes parents me l’ont appris. Le radiologue il n’a pas de téléphone chez lui ? Il ne mange pas le soir ?