La sangsue pique-assiette à la table de l’arthrose.


Histoire

La sangsue est utilisée couramment  par les médecins grecs à des fins thérapeutiques. Mais bien avant en Egypte on l’utilisait déjà: une fresque murale datant de plus de 1500 avant J.C. montre son utilisation. Les romains l’utilisent régulièrement comme en témoigne Horace ou Cicéron parlant de sanguisuga ou de hirudo. Au Moyen Age on continue toujours à appliquer ces annélides qui sont progressivement remplacés par les saignées au moyen de lancettes vers le XVII° siècle. L’hirudothérapie est remise en selle après la Révolution surtout sous l’influence de Broussais, chirurgien des armées de Napoléon qui inonde l’Europe de sa doctrine qui veut que toute maladie vient d’une inflammation le plus souvent gastrique et qu’il faut donc poser des sangsues sur l’abdomen du fait de leur activité anti-inflammatoire. Au XIX° siècle ce ver aquatique a pratiquement disparu des marais où il est récolté tant l’utilisation est intense. D’où l’idée chez certains de développer l’élevage puis la commercialisation de ces « petites bêtes ». Ce type d’exploitation a débuté dans les marais girondins vers les années 1830. L’apparition d’infections cutanées, l’avènement de l’asepsie avec Pasteur ont provoqué le déclin de la sangsue qui a disparu des officines en France où elle était vendue avant la 2° guerre mondiale. L’hirudothérapie est remise en selle par les chirurgiens plasticiens et traumatologues depuis les années 1990. Elle franchit à nouveau les portes de la médecine traditionnelle. Ricarimpex est une société française qui développe l’hirudinoculture et ses indications thérapeutiques. Elle est basée dans le sud-ouest de la France et met  actuellement, en collaboration avec le professeur Michel Salzet de Lille, au point des mini-patchs enduits de salive de sangsue pour traiter notamment la gonarthrose.

Biologie

Il y a des centaines d’espèces de sangsues répertoriées dont Hirudo medicinalis qui est un annélide aplati muni de 2 ventouses dont l’une forme la bouche avec 3 mâchoires qui lors de la morsure laissent une empreinte en Y et l’autre sert à la locomotion.

La vie se déroule dans les marais et étangs surtout en Camargue et dans les Landes. Il se déplace par ondulations dans l’eau et grâce à sa ventouse postérieure sur terre. L’alimentation est faite de sang de mammifères après morsure. Au cours du repas la sangsue déverse une salive comportant des propriétés physiologiques multiples. Le tube digestif est une succession de petits sacs qui permettent le stockage du sang avant la zone de digestion active. Cette zone permet au ver de supporter jusqu’à 1 an de jeun. La respiration se fait à travers la peau.  Une fois repue après un repas de quelques dizaines de minutes, la sangsue quitte son hôte gonflée de sang (environ 5 à 10 ml de sang).

La sangsue est hermaphrodite mais l’autofécondation n’est pas possible imposant  l’accouplement entre 2 individus pour assurer la reproduction. La ponte se produit 1 mois après la fécondation hors de l’eau dans la terre sous forme d’un cocon contenant les œufs fécondés à l’origine des petites sangsues qui dès qu’elles ont perforé l’enveloppe protectrice se précipitent dans l’eau.

Substances Actives

Des anticoagulants

  • L’hirudine : peptide anticoagulant sécrété par les glandes salivaires injecté dans la morsure pendant la succion pour empêcher la coagulation du sang de l’hôte.
  • Des inhibiteurs de l’agrégation plaquettaire : la salive de sangsue  comporte un inhibiteur efficace de l’agrégation plaquettaire. Expliquant la persistance de saignement après la morsure plusieurs heures après la disparition de l’effet de l’hirudine. On y trouve notamment  une protéine : la caline, des enzymes : apyrase, une collagénase, protéase, lipase, une hyaluronidase qui favorise la diffusion des principes actifs, des prostaglandines, une anti kallikréine.

Un vasodilatateur avec une substance similaire à l’histamine qui aurait un rôle vasodilatateur lors de la succion.

Un  anesthésique ou analgésique car la morsure de sangsue est indolore probablement du fait de la présence de molécules antalgiques.

Indications

Les sangsues peuvent être utilisées en microchirurgie et chirurgie plastique, pour des reprises de greffe, des petits hématomes, en rhumatologie notamment dans l’arthrose du genou. Un onguent à base de salive de sangsue est même commercialisé pour l’insuffisance  veineuse, les suites de  phlébite ou de sclérose,  les crises d’hémorroïdes.

Les travaux réalisés dans la gonarthrose

A l’occasion de la réalisation d’une méta analyse (5) conduite par une équipe allemande et portant sur l’hirudothérapie dans le traitement de la gonarthrose, nous avons retrouvé quatre études que nous vous soumettons et qui sont une base pour ce travail récent.

En 2003 c’est déjà une équipe allemande (1) qui a publié une étude contrôlée randomisée dans la gonarthrose incluant 51 patients répartis en 2 groupes. L’un (27) recevait une application quotidienne de diclofénac et l’autre 4 à 6 sangsue sur le genou jusqu’à ce qu’elles se détachent, le tout pendant 28 jours. A l’issue de la 1° semaine et seulement à ce stade la diminution de la douleur était significativement plus importante dans le groupe sangsue. Ensuite l’écart entre les groupes s’atténuait. Par contre  le différentiel pour la fonction et la raideur persistait ensuite et allait en faveur du traitement par les sangsues. Les auteurs concluaient que les applications de sangsues semblaient être bénéfiques à court terme sur les symptômes de la gonarthrose, le mécanisme d’action restant à élucider.

Une autre équipe allemande (2) en 2008 a traité 113 malades atteints de gonarthrose certaine avancée répartis en trois groupes : un groupe I avec 1 application de sangsue chaque jour (38), un groupe II avec 2 applications quotidiennes (35) et un groupe III contrôle (40) avec une « fausse sangsue », Ils ont été suivis pendant 28 semaines. Une amélioration notamment du WOMAC mais  aussi de l’EVA a été obtenue dans les 3 groupes après le traitement. Ces améliorations étaient statistiquement significatives pour les groupes de traitement I et II pendant la période complète de suivi. La réduction des médicaments pour la douleur était aussi statistiquement significative. On a vu l’amélioration la plus grande amélioration a été notée avec le groupe II traité deux fois par sangsues, avec une réduction à long terme de la raideur avec amélioration de la fonction pour les activités quotidiennes. Les auteurs concluent que le traitement par sangsue peut réduire des symptômes causés par l’arthrose. L’utilisation répétée des sangsues semble améliorer les résultats à long terme. Ils n’ont par contre pas pu déterminer si le résultat positif du traitement par sangsue est causé par des substances actives sorties pendant l’aspiration, par l’effet placebo ou les espoirs placés dans cette forme de traitement inhabituelle.

En 2011 une équipe indienne (3) traite 32 gonarthroses symptomatiques radiologiquement prouvées avec des applications de sangsues quotidiennes pendant environ une heure sur une durée de 6 semaines. Ils obtiennent les résultats suivants :

  • réduction de douleur ressentie             J0  4.28 ± 0.73  J42  0.81 ± 0.64  (t= 24.45, P < 0.001),
  • réduction de douleur de palpation       J0  1.84 ± 0.72  J42  0.93 ± 0.30  (t = 12.99, P < 0.001),
  • réduction du gonflement articulaire:   J0  1.38 ± 0.46   J42  0.22 ± 0.42  (t = 10.42, P < 0.001).
  • réduction de la raideur articulaire        J0  1.72 ± 0.46   J42  0.22 ± 0.42  (t = 16.70, P < 0.001).

Le traitement par sangsue améliore donc la qualité de la vie de patients atteints de gonarthrose. Les auteurs concluent que cette thérapie étant efficace, il  faut  poursuivre les travaux pour rechercher les principes actifs delà salive de sangsue dont des composés anti inflammatoires.

 C’est encore une équipe allemande (4) qui en 2012 publie un travail portant sur 52 gonarthrose réparties en deux groupes : l’un comportant un traitement par sangsue (27) ou un traitement par stimulation électrique transcutanée (25) avec un cross over à 6 semaines suivi d’une nouvelle période de surveillance de 21 jours.  Les critères principaux étaient le Lequesne et une EVA douleur. L’étude a montré une nette amélioration avec les sangsues sans modification par la stimulation électrique Les auteurs concluent  que la thérapie par sangsue a montré des effets significatifs, pertinents et comparables aux autres essais déjà publiés.

 Au vu notamment de ces études les auteurs allemands signataires de la méta analyse concluent qu’il existe des preuves modérées à  forte de réduction de douleur de diminution de l’incapacité fonctionnelle et  de la raideur après traitement par sangsue chez les  patients atteints de gonarthrose. Étant donné le faible nombre d’événements défavorables rapportés, ce traitement peut être une option utile dans le traitement de cette affection.  Cependant des travaux de plus haute qualité sont encore nécessaires pour conclure de façon définitive  à son efficacité et à sa sécurité.

 Bibliographie

  1. Michalsen A, Klotz S, Ludtke R, Moebus S, Spahn G, Dobos GJ. Effectiveness of leech therapy in osteoarthritis of the knee: a randomized, controlled trial. Ann Intern Med. 2003 Nov 4;139(9):724-
  2. Andereya S, Stanzel S, Maus U, Mueller-Rath R, Mumme T, Siebert CH, Stock F, Schneider U. Assessment of leech therapy for knee osteoarthritis: a randomized study.  Acta Orthop. 2008 Apr;79(2):235-43
  3. P. K. Rai, A. K. Singh, Scholar, O. P. Singh, N. P. Rai, A. K. Dwivedi. Efficacy of leech therapy in the management of osteoarthritis (Sandhivata). Ayu. 2011 Apr-Jun; 32(2): 213–217
  4. Stange R, Moser C, Hopfenmueller W, Mansmann U, Buehring M, Uehleke B. Randomised controlled trial with medical leeches for osteoarthritis of the knee. Complement Ther Med. 2012 Feb-Apr;20(1-2):1-7
  5. Lauche R, Cramer H, Langhorst J, Dobos G. A Systematic Review and Meta-Analysis of Medical Leech Therapy for Osteoarthritis of the Knee. Clin J Pain. 2013 Feb 26.