Crac, snap, scrap : lequel de ces bruits oriente vers l’arthrose ?
Prélude
Les bruits articulaires sont tantôt perçus comme bénéfiques apportant satisfaction, tantôt sources d’inquiétude assimilés à la maladie. Tout cela change avec l’origine topographique, l’âge, le caractère isolé ou associé à une gêne plus ou moins douloureuse mais aussi avec celui qui en parle.
C’est bien le cas pour le cracking des doigts que cet adolescent utilise à merveille comme un son souvent associé au plaisir mais souvent fustigé par la maman du fait du risque colporté de maladie sérieuse des articulations parce qu’elle ne supporte plus ce bruit volontaire, ce que le « docteur » devra d’ailleurs confirmer à tout prix.
En réalité il convient de distinguer différents phénomènes sonores d’origine intra-, péri- ou extra articulaire qui peuvent être parfois liés à une pathologie dégénérative comme une usure du cartilage à l’origine de l’arthrose et dont le diagnostic ne se fait pas toujours pas à l’oreille ou avec le stéthoscope mais encore avec une simple radiographie.
Le cracking ou forçage articulaire.
C’est par exemple un « crac », un « clic », un « tac » ou un « clac » noté de façon occasionnelle au cours d’un mouvement articulaire volontaire très rapide et généralement brutal. Il peut s’entendre à l’épaule à l’occasion d’un moulinet du bras, au genou lors d’un accroupissement soudain, à la cheville avec une flexion dorsale extrême du pied. Il est cherché lors des manipulations rachidiennes à l’occasion de la » remise en place » des vertèbres et amène très souvent cette sensation recherchée de « mieux-être ».
Il est surtout connu au niveau des doigts où il peut apparaitre isolé ou en rafale après un déclenchement volontaire principalement aux articulations métacarpo-phalangiennes et inter phalangiennes proximales. Ces enfants dits hyperlaxes ou nerveux ou anxieux ou tout à la fois reproduisent à l’envie ces manipulations digitales forcées à effet sonore qui attirent aussi l’attention de l’entourage. Les mêmes gestes peuvent persister à l’âge adulte.
L’origine du bruit est liée au phénomène de cavitation (2) qui correspond à la naissance et l’oscillation de bulles de gaz et de vapeur dans un liquide soumis à une dépression. Si cette dépression est suffisamment élevée, la pression peut devenir inférieure à la pression de vapeur saturante, et une bulle de vapeur est susceptible de se former puis d’éclater. C’est la cavitation qui est à l’origine de bruits d’hélices ou de vannes en milieu liquide. Dans l’articulation les surfaces cartilagineuses sont « collées » l’une à l’autre par un film liquidien visco-adhésif dépendant de son acide hyaluronique, permettant le glissement sans frottement et réalisant une cavité virtuelle à pression négative. Le brusque décollement des surfaces articulaires va entrainer la formation par évaporation de bulles de gaz azoté ou carboné depuis le liquide synovial en mouvement du fait du changement brutal de pression imposé par la traction. Les bulles vont grossir sous tension puis se condenser brutalement par phénomène de collapse entrainant le bruit caractéristique. Il faudra un certain temps évalué à 15-20 minutes pour que l’individu puisse reproduire le phénomène. Ce temps nécessaire pour que se forment à nouveau des conditions physiques gazeuses favorables semble d’ailleurs sous la dépendance de l’acide hyaluronique.
Cette cavitation bruyante s’accompagne aussi de lésions à la surface des matériaux par érosion. Ces constatations qui amènent à apporter des corrections dans les ensembles mécaniques exposés aux flux liquidiens ont pu faire craindre de la même manière une atteintes précoce de la surface cartilagineuse articulaire à l’origine d’une arthrose.
Cela ne semble pas le cas et des travaux récents (1) ont encore confirmé l’absence de relation entre le cracking articulaire et l’arthrose. On peut donc laisser sans risque aux anxieux le forçage sonore pour se détendre. Bien évidemment ce bruit ne relève pas de la viscosupplémentation puisqu’il apparait sous certaines conditions de tension dans un milieu articulaire mécanique normal.
Le snapping ou ressaut periarticulaire
C’est le plus souvent un « clap » ou un « ploc » sonore avec sensation d’accrochage : une autre variété de bruit que l’on trouve très fréquemment au niveau de la hanche. La plupart du temps il n’est pas douloureux, d’origine extra articulaire et bien vite mis en évidence par l’examen ou par le patient lui-même qui déclenche le phénomène facilement. Il est dû au passage d’une aponévrose ou d’un tendon au-dessus d’un relief osseux. C’est le cas pour le tendon du psoas iliaque à la hanche. Cela n’intervient que lors de mouvements actifs car il y a intervention du tonus musculaire sans lequel la tension du tendon est insuffisante pour que le ressaut existe. Cette gêne isolée ne relève d’aucun autre traitement que kinésithérapique
Cette sensation de ressaut avec ploc ou cloc se retrouve aussi au niveau du genou et correspond beaucoup plus à des manifestations tendineuses d’accrochage notamment lors du passage du tendon du biceps fémoral sur la tête du péroné. De tels bruits sont rarement en rapport, contrairement aux idées répandues, à des lésions intra articulaires notamment méniscales bien que l’on puisse évoquer en la circonstance l’existence d’une anomalie de forme comme le ménisque discoïde. La même manifestation sonore peut être observée au niveau de la mâchoire avec pour origine le disque intra articulaire de la temporo-mandibulaire.
Associé à une gêne et des douleurs, ces manifestations bruyantes deviennent un symptôme justifiant des investigations complémentaires.
Mais on retrouve très souvent au milieu de ces bruits un « fond sonore parasite» fait d’inquiétude, d’anxiété, de sensation d’usure et de maladie sérieuse qui ne doit pas être négligé. Il nécessite d’être pris en compte dans la démarche diagnostique et thérapeutique en limitant notamment au maximum les explorations chirurgicales parfois proposées ou souhaitées par le patient pour établir des «certitudes».
Tel n’est pas bien sûr le cas pour le ressaut, cette fois-ci visible avec impression de claquement sonore, qui se voit fréquemment au niveau des doigts ou du pouce. Le tendon pathologique, siège d’un nodule inflammatoire, peine à passer dans l’anneau tendineux qui le soutient. Il s’agit là aussi de lésions extra-articulaires d’origine tendineuse relevant dans ce cas d’un topique antalgique ou d’un traitement anti-inflammatoire généralement local et du repos.
On peut signaler aussi les ténosynovites « sonores » avec aï crépitant de Paul Jules Tillaux à la styloïde radiale au cours de la tendinite de Fréderic de Quervain
Bien évidemment ces manifestations ne relèvent pas de la viscosupplémentation.
Le scraping ou raclage articulaire
Il en va différemment du scraping ou raclage articulaire qui est généralement le reflet de lésions cartilagineuses et se manifeste au genou par un bruit comme «crashhhhh». Cela correspond à une sensation d’accrochage, de frottement ou de crissement douloureux provoqué par la mobilisation de la rotule soumise à une pression verticale dans la trochlée fémorale comme celle de l’outil du menuisier sur la tranche de la pièce de bois. Ce bruit s’accompagne d’une gêne articulaire plus ou moins douloureuse quasi permanente qui inquiète à juste raison le sujet.
Le signe clinique du rabot recherché par le médecin à l’occasion de l’examen du genou douloureux va révéler la lésion cartilagineuse fémoro-patellaire qui est à l’origine de cet état. L’effet obtenu est dans la plupart des cas assimilé par le patient aux sensations internes et sonores qu’il ressent à l’accroupissement ou au sortir d’un fauteuil profond. Ce signe serait présent dans 65% des arthroses de genou (3). Il n’est par contre pas pathognomonique de l’arthrose fémoro-patellaire ou d’une arthrose globale du genou puisqu’on le retrouve dans la chondromalacie de rotule ou dans les atteintes inflammatoires de l’articulation au stade des lésions cartilagineuses.
La confirmation de l’origine arthrosique est donnée par le cliché radiologique qui met en évidence le pincement articulaire, reflet de l’amincissement par usure du cartilage, et l’ostéophyte qui signe l’arthrose avec sa tentative de réparation. Les différentes incidences permettront de préciser le caractère uni-, bi-compartimental ou global de l’atteinte articulaire.
C’est dans cette atteinte arthrosique que la viscosupplémentation par l’acide hyaluronique ou les hyaluronates trouve toute sa place.
Ce ressenti de frottement ou de crissement, pouvant prendre l’allure de légers craquements souvent audibles, peut être retrouvé aussi au niveau d’une épaule, d’une hanche, d’une cheville ou d’un coude douloureux. La même démarche diagnostique positive sera appliquée et pourra déboucher sur le même traitement local avec infiltrations éventuelles de gels de hyaluronates aujourd’hui adaptés à ces articulations.
Bibliographie
1- Deweber K, Olszewski M, Ortolano R. Knuckle cracking and hand osteoarthritis. J Am Board Fam Med. 2011 Mar-Apr;24(2):169-74.
2- Unsworth A, Dowson D, Wright V. Cracking joints, a bioengineering study of cavitation in the metacarophalangeal joint. Ann Rheum Dis 1971 ;30:348-58
3- Cisse, A. Traoré, B. Kodio, S. Pamanta, T. Coulibaly, M. Kane, S. Fongoro, S. Touré. Étude clinique et radiologique de la gonarthrose dans le service de rhumatologie au CHU du Point G. Résume communication congrès SFR 2009