Chapitre 10. Premieres impressions sur une ampoule de viscosupplément

C’est dimanche. Les rues sont vides, le ciel est tout gris et le plafond très bas. Il est 10 heures et l’on entend les cloches de l’église qui annoncent probablement le début d’un office. Etienne regarde par la fenêtre l’état du stade car il a encore plu hier et les contre-allées sont recouvertes d’eau tant le sol est imbibé d’eau. Il est debout et réfléchit. Cela fait presque trois jours qu’il a eu sa première injection d’acide hyaluronique. Beaucoup d’éléments l’ont surpris. Il n’a pas eu mal au cours de l’injection ni après. Il avait déjà subi les assauts de l’aiguille est des doigts du Dr Mamfaimieux et il fallait reconnaitre que c’était un as. Il avait lu que le produit pouvait faire mal et déclencher des réactions inflammatoires douloureuses importantes et cela n’avait pas été le cas. Allait-il s’en plaindre et se demander si le gel avait bien été injecté ? Cela d’autant plus qu’il ne ressentait ni amélioration ni aggravation des symptômes fonctionnels. Il avait marché hier avec son épouse qui voulait faire des achats de vêtements à l’occasion des soldes d’hiver. Il peinait toujours au-delà du kilomètre et les escaliers étaient toujours un peu pénibles à prendre à la descente. Il avait aussi noté à l’occasion de ses recherches que la plupart des patients ayant eu une viscosupplémentation avaient dû attendre quelques semaines pour voir se profiler un début de résultat. Il est sûr que pour lui le résultat immédiat de cette injection n’avait rien à voir avec celui procuré par la cortisone qui en 24 heures l’avait transformé. Il savait qu’il fallait être patient. En tout cas il avait évité le paracétamol «pour voir» et cela n’avait pas changé le fond douloureux lié à la marche. Il est perdu dans ses pensées quand sa femme arrivée à ses côtés lui demande de remplacer la lampe du plafonnier central de la cuisine qui vient de « lâcher ». Notre homme se retourne, revenu subitement à la réalité, et se dirige vers la pièce prenant au passage une chaise pour changer l’ampoule qui n’est pas à sa hauteur. Il arrive avec quelques difficultés à monter sur le siège et lève les bras. IL ressent une petite douleur dans l’épaule droite quand il fait un mouvement de rotation de l’avant-bras et poignet pour dévisser le petit globe de verre. Au moment de redescendre le bras il reçoit un coup de poignard dans l’articulation et lâche sa prise qui explose au sol  et se transforme en milliers de petites aiguilles. La douleur est terrible, transfixiante et il ne bouge plus, ne dit rien, ne pense à rien tout occuper à expulser avec une respiration la plus ample possible ce « couteau qui semble avoir touché ses tendons. Quelques minutes sont nécessaires pour qu’il retrouve l’usage de la parole puis du mouvement du bras puis de celui des jambes ce qui lui permet ainsi de descendre péniblement de la chaise pour aller se jeter dans le fauteuil. Madame qui n’a pas dit un mot pendant tout ce temps a mis de côté son inquiétude quand Etienne a pu lui parler de sa douleur dans le bras. Ce n’était donc pas le cœur ! Ouf ! Elle a pris l’aspirateur et nettoie le sol jonché de bouts de verre.

Notre héros souffre dans son siège, les deux avant-bras sur les accoudoirs. Il est en plein doute. Depuis quelques mois rien ne va plus : les genoux, un poignet, un pied et maintenant une épaule ! Moins il en fait et plus il a mal et plus les douleurs s’étendent. Il lui faut absolument réagir ! Mais que faire en plus du régime qu’il a entrepris depuis bientôt 2 semaines ? Et si cela n’était que la conséquence d’un excès d’activité et de bonne chère ? Il ne pouvait se résoudre à accepter cette explication car cela renforçait la valeur prédictive des avertissements répétés de son épouse.

L’aspirateur ne ronronne plus, seule une mélodie provenant du vieux « transistor » Radiola qui siège sur le « frigidaire » tente d’animer l’atmosphère lourde. Etienne se relève retourne à la cuisine, prend sur le petit balcon attenant un escabeau. Il aurait dû faire cela tout à l’heure au lieu de monter sur une chaise. Il prend la nouvelle ampoule et monte les marches sans beaucoup de difficultés, arrive à la hauteur de la douille, visse sans difficulté le petit globe, redescend, fait fonctionner l’interrupteur. La lumière inonde la pièce.

Ce ne sera peut-être pas si grave que cela ! L’épaule est pratiquement indolore, il va falloir faire un peu attention aujourd’hui et ce jeudi on reverra le rhumatologue. Tout va bien.

Madame a préparé le repas de midi hier soir, elle a mis le couvert à la salle à manger où quelques rayons de soleil qui tentent de percer la couverture des nuages illuminent un peu la table: il y a des escalopes de poulet avec du riz, une salade verte en entrée, le yaourt et le carré de gruyère et enfin des mandarines. La bouteille de Vichy Célestins est bien en évidence avec la carafe d’eau du robinet.

Il en revient à ses genoux et à la viscosupplémentation. Cela correspond tout à fait à ce qu’il a lu sur le net. Bien sûr il aurait volontiers pris la place de certains patients transformés dès la première injection mais ils n’étaient pas légion et cela lui apparaissait suspect car l’acide hyaluronique lui-même ne semblait pas posséder de capacité antalgique intrinsèque encore que certains travaux, avait-il lu, suggéraient un effet de neutralisation par occultation des nocicepteurs (récepteurs à la douleur émettent des signaux vers les zones cérébrales centrales régissant la douleur) synoviaux avec cette grande chaine de sucre. Comme il a jeté, après l’avoir lue jeudi soir, la notice du viscosupplément que lui avait donné le médecin, il va vers la boite en carton que lui a remis le pharmacien hier matin. Elle contient 3 blisters comportant chacun une ampoule d’acide hyaluronique et la feuille d’instruction écrite dans de nombreuses langues. C’est la même que celle qu’il avait déjà eu entre les mains. Il n’y avait rien de plus et il aurait dû écouter le médecin qui lui avait dit de ne pas manipuler cet emballage. Il n’avait pas touché aux étuis en plastique transparent, il avait juste regardé le volume et la couleur du produit inclus dans la seringue.

Avec sa carte Vitale et celle de la Mutuelle il n’avait rien payé et sur l’emballage la vignette indiquait un prix de 100 euros. C’était donc bien ce que lui avait dit le Dr Manfaimieux. Pourtant il avait vu que certains viscosuppléments étaient plus chers que d’autres et c’était le cas lui semblait-il pour les préparations destinées aux mono injections comme Durolane, Synvisc One pour le genou ou les mêmes avec notamment Coxarthrum  et Happycross pour d’autres articulations mais dans ces conditions sans remboursement. La sécurité sociale ne rembourse la viscosupplémentation dans le genou qu’à raison d’un traitement par genou et par an. Le rhumatologue lui avait bien signalé cela quand il lui avait présenté cette possibilité de traitement dans l’arthrose. Si un jour il en avait besoin dans une épaule, une hanche ou une cheville par exemple, il en serait de sa poche. Ce n’est pas grave, pense-t-il si cela remplace les antalgiques et antiinflammatoires notamment et si l’injection améliore la fonction articulaire pendant en moyenne 6 à 24 mois, ce qu’il attend fermement pour son genou gauche.

Il est douze heures trente, le clocher a envoyé ses deux coups sonores marquant la demi- heure. Etienne se met à table cherchant à travers un ciel incertain des petits endroits de ciel bleu tandis que Madame remue la salade de façon machinale. Quand elle est comme cela, c’est qu’elle a envie de dire quelque chose et qu’elle réfléchit à la façon de l’exposer….