CHAPITRE 13. Etienne tombe dans un chaudron d’acide hyaluronique
Etienne, on l’a lu dans le chapitre précédent, a oublié son rendez-vous d’échographie et a été surpris en grande discussion avec Catherine par le médecin arrivé un peu en retard.
Il est rentré dans le cabinet avec son beau costume tout neuf qui a fait tant d’effet à la secrétaire. IL a posé la boite d’ampoules et les radiographies sur la chaise qui est à côté de celle qu’il a prise pour être en face du médecin. Il a commencé à raconter sa semaine, les bienfaits de la viscosupplémentation sur le genou gauche, la découverte d’une arthrose de l’épaule droite, la persistance d’une gêne du genou du même côté. Il attend que le médecin l’interrompe mais celui-ci continue d’écouter n’ayant visiblement pas envie de prendre la parole. Alors notre patient se lâche, parle de l’acide hyaluronique dans l’arthrose de l’épaule, des nouveau viscosuppléments à injection unique. Puis il évoque son régime soutenu et sa perte bénéfique de poids.
C’est alors qu’un parfait lancé d’un ton décidé traverse la largeur du bureau suivi d’un « déshabillez-vous pour que l’on fasse la 3° injection dans le genou gauche ». Etienne se dit qu’il n’a pas tout dit, qu’il n’a eu aucune réponse et qu’il ne faut pas qu’il parte ainsi. Le Dr Manfaimieux s’est dirigé vers le lit d’examen et le petit lavabo pour se laver les mains et préparer l’ampoule d’acide hyaluronique dans un plateau préalablement recouvert d’un petit carré d’intissé issu d’une pochette stérile tandis que notre homme n’ayant gardé que le slip va s’étendre sur la table.
L’injection du viscosupplément se fait en quelques secondes après nettoyage précautionneux de la peau selon le même protocole que les fois précédentes. Au passage le praticien a noté qu’il n’y avait aucun signe d’épanchement. Après l’ablation de l’aiguille il a mobilisé l’articulation et signalé qu’il n’y avait aucune limitation des mouvements et que donc le genou était cliniquement normal.
Il s’attaque ensuite au genou droit. Il note une petite lame de liquide dans l’articulation en appuyant sur la rotule de haut en bas, il parle alors de choc rotulien. Il y a une limitation douloureuse de la flexion à 140° et un petit flessum (Etienne n’arrive pas à étendre complètement la jambe) de 5°. Il ne trouve pas de signes clinique d’atteinte des ménisques, ni d’atteinte évidente du cartilage de la face postérieure de la rotule. Il mesure le périmètre articulaire retrouvé avec 2 cm de plus qu’à gauche. Il évoque donc à nouveau une arthrose de type fémoro-tibiale interne comparable à celle existant de l’autre côté. Il a bien noté que le périmètre de marche était inférieur à 15 minutes, que les escaliers était difficiles à utiliser et qu’il était nécessaire à Etienne de prendre régulièrement des antalgiques pour mener une vie à peu près normale. Il va revoir les radiographies pour confirmer une éventuelle inclusion dans un protocole thérapeutique de viscosupplément.
Il revient vers l’épaule droite et explique qu’il ne peut faire d’échographie dans l’attente du service technique pour réparation de l’écran qui reste malheureusement noir. Cependant l’examen lui permet de découvrir une lésion du long tendon du long biceps. Ce muscle de la face antérieure du bras comporte deux chefs d’où le nom de biceps. L’un de ceux-ci va s’insérer grâce à un tendon sur une apophyse osseuse dite coracoïde qui dépend de l’omoplate et située derrière la clavicule. L’autre chef s’insère sur l’humérus. Le premier a lâché probablement dans un second temps et après l’incident du changement de l’ampoule. Cette rupture a entrainé la rétraction de la partie musculaire correspondante retrouvée sous forme d’une boule au milieu du bras lors de la flexion contrariée, ce que n’a pas remarqué jusqu’alors Etienne qui est ainsi tout surpris. Le médecin lui explique que c’est pour cela qu’il a moins mal puisque le tendon probablement malade et cassé n’est plus soumis à tension. Cela modifie un peu le programme thérapeutique envisagé. Il n’en reste pas moins qu’il faudra vérifier les autres tendons par échographie avant de décider quoi que ce soit. Pour le patient c’est un peu la tuile car même s’il a effectivement bien moins mal qu’il y a une semaine, il n’en est pas moins un peu gêné et « sent » son articulation. S’il ne peut avoir de traitement local, il pense intérieurement qu’il ira voir un chirurgien pour qu’il lui recouse le tendon. Il ne va rien dire pour l’instant.
Le médecin est retourné vers son bureau après un passage vers le lavabo pour un nouveau lavage de main. Etienne a remis le beau costume et a repris sa place en face de médecin. Il attend. Le praticien semble chercher derrière son bureau un dossier qu’il trouve et place devant lui.
Vient alors le questionnaire comparable à toutes les consultations précédentes. Les réponses sont désormais claires car les questions sont bien comprises et cela va désormais très vite. Le genou gauche est amélioré de plus de 60%, ce qui est tout à fait appréciable et c’est d’ailleurs bien l’impression d’Etienne prêt à affirmer que de ce côté-là il est guéri.
Le Dr Manfaimieux prend ensuite les radiographies, découvre en souriant le rond fait par le crayon autour de l’ostéophyte de l’épaule et demande qui l’a fait car souvent les radiologues en expliquant aux patients ce qu’ils ont utilisent cette méthode pour bien mettre en évidence les lésions. Et non cette fois-ci c’est le malade qui s’est lancé. Il confirme donc l’arthrose mais il n’y a pas d’ascension de la tête de humérus en direction de la région supérieure acromio claviculaire, ce qui permettrait de penser que la coiffe des rotateurs est encore fonctionnelle non rompue si elle est éventuellement perforée, ce qui autoriserait une éventuelle viscosupplémentation. C’est la bonne nouvelle du jour pour Etienne. Il regarde ensuite la radiographie du genou droit qui est effectivement le siège d’une arthrose fémorotibiale interne avec pincement net mais modéré, ostéophytes sur le bord du plateau tibial interne. Le médecin parle d’arthrose de stade deux. Il y a aussi des stades dans l’arthrose se dit Etienne : c’est comme au football en somme !
Dans de telles conditions et compte tenu de l’état clinique et radiologique le rhumatologue propose une inclusion dans l’étude ayant trait à un nouveau viscosupplément puisque toutes les conditions semblent requises. Il propose la lecture d’une notice d’information qu’il retire du dossier qu’il a posé devant lui et où tout est décrit par le détail : l’intérêt du traitement, l’utilité de l’étude et le recours à un produit de même classe et de référence, le rythme des examens et des injections, les indications et contrindications, la surveillance. Cela doit se faire tranquillement à la maison dans la soirée et le recueil de l’accord avec la signature peut se faire le lendemain soit vendredi dans la journée pour une inclusion officielle et début d’une période de sevrage de tout médicament antalgique et antiinflammatoire d’une petite semaine pour mettre le genou droit dans des conditions cliniques de référence pour le jour de la première injection du produit à tester ou de l’actif de référence. Sur le principe Etienne est d’accord, hésite un peu sur le fait qu’il ne peut choisir le produit mais fait confiance à son médecin. Il y trouve un avantage : le produit est pris en charge. Ilva quand même en parler à Madame et reviendra donc demain pour donner sa réponse.
Il réclame quelques renseignements supplémentaires sur la façon de prendre en charge son épaule qui le gène. Le Dr Manfaimieux lui propose de réaliser rapidement une échographie pour voir si l’on peut lui injecter avec un maximum de chance d’amélioration de l’acide hyaluronique mais il soulève en même temps le problème d’une douleur mal localisée peut-être plus tendineuse qu’articulaire suggérant que quelques semaines de repos relatif de l’articulation seraient bienvenues.
Etienne repart avec sa notice et ses radios. Il a laissé la boite vide. Il a vérifié que les clefs étaient dans la poche de son manteau. Il s’est arrêté vers la secrétaire pour payer la consultation (il n’a pas oublié de prendre du liquide car il ne fait pas de chèque) et a pris un nouveau rendez-vous pour l’échographie. Il a signalé qu’il repasserait demain non pas pour récupérer les clefs qu’il n’avait pas oublié cette fois-ci mais pour ramener la notice et signer la feuille de consentement éclairé qui marquerait le début de sa prise en charge au regard de l’expérimentation du nouveau viscosupplément. Il prendra alors les différents rendez-vous successifs préconisés.
Il sort sur le palier et attaque la descente des escaliers. Il a un peu mal dans le genou gauche mais ce n’est pas une douleur d’arthrose. Elle parait plus en rapport avec l’injection mais elle est parfaitement supportable. Il passe à la pharmacie car madame lui a demandé de prendre des suppositoires à la glycérine pours sa constipation. Il en profite pour parler au pharmacien de ce nouveau produit lubrifiant qu’il va essayer dans le genou droit, il lui montre la notice à lire et lui demande s’il connait le produit actif qu’il risque de recevoir avec 1 chance sur deux. Le potard le rassure et lui dit que c’est un bon produit très couramment utilisé et qu’il délivre régulièrement avec des retours d’information tout à fait positifs. Il lui recommande cependant la plus grande attention pour le nouveau produit qu’il ne connait pas puisqu’il n’est pas commercialisé. Il y a du sorbitol dans la préparation et c’est curieux parce que cette substance est généralement utilisée dans la constipation, cette affection dont souffre son épouse. Etienne qui a tout appris et tout retenu à travers les propos du rhumatologue explique alors que le sorbitol est une substance destinée à protéger l’acide hyaluronique de la dégradation oxydative qu’il subit dans le genou après injection, que la molécule qui est un sucre alcool dérivé du sorbier, l’arbre aux mille oiseaux, a un effets antalgiques direct qui apporte un maximum de confort dans les suites du geste. Le pharmacien est subjugué par les propos de son client et se précipite sur son grand livre rouge pour y trouver confirmation. Il ne trouve rien dans ce sens mais il constate qu’il y a plusieurs centaines de produits renfermant du sorbitol dans leur préparation. Cela rassure donc tout le monde. Les deux conviennent d’une discussion nouvelle dans la quinzaine à venir car notre professionnel de santé raconte qu’il a eu l’an dernier une viscosupplémentation dans un genou suffisamment douloureuse après chaque injection pour qu’il hésite à recommencer cette année alors qu’il a à nouveau mal depuis 3 mois. C’est le Dr Manfaimieux qui d’ailleurs le suit.
Il est près de 16 heures quand Etienne finit par rentrer chez lui. Comme il a l’impression que le genou est un peu chaud, il prépare un sachet de glaçons qu’il va mettre sur une serviette posée sur son genou après s’être étendu sur son lit. Il réfléchit.
Cela fera bientôt quatre semaines qu’il va de docteur en docteur en passant par les pharmaciens. Il en a un peu marre et se demande s’il va continuer. Il y a quelques semaines l’arthrose c’était la maladie des vieux, ceux qui étaient assis sur les bancs tous les après-midi sur la place de la mairie. Il lui avait fallu attendre la fin de l’année 2012 pour découvrir que, tel un moteur à combustion, on pouvait faire des vidanges-graissage sur ses articulations. Il avait commencé 2013 dans l’acide hyaluronique et ne semblait pas près d’en sortir: le genou droit, l’épaule droite et puis quoi encore? Il était goutteux: le comble! Avec cette conséquence: un régime draconien d’autant plus rigide qu’il était pris en charge par la « patronne ». Il n’avait pas encore repris la moindre activité physique importante depuis son retour du ski et il sentait que ses muscles s’atrophiaient de jour en jour. Le chaudron d’acide hyaluronique dans lequel on voulait le tremper après celui d’acide urique qu’il avait lui-même rempli allait-il tel Astérix et la potion magique le transformer? Au fait c’était bizarre: urique et uronique (il faudrait qu »il éclaircisse cet air de famille) ça sonnait comme ironique! De pensées en pensées toutes négatives, il s’endort avec une articulation douloureuse qui l’inquiète.