Chapitre 12 Une semaine sans histoire.

Etienne ne nous a donné aucune nouvelle depuis la semaine dernière. C’est que sa vie n’a pas fondamentalement changé depuis vendredi. Il a passé un week-end très calme en raison des conditions météorologiques désastreuses avec un mélange de froid, de vent du nord, de pluie et de neige, le tout agrémenté d’un brouillard à couper au couteau. La télévision était là heureusement pour couper un peu la longueur des journées même si fille, gendre et petit-fils étaient passés dimanche en fin d’après-midi pour prendre des nouvelles après un coup de fil alarmiste de notre grand malade.

Il a fait ses radiographies de l’épaule et le radiologue a vu un petit ostéophyte en goutte à la prise inférieure de la tête de l’humérus. Il lui a donc confirmé l’existence d’une arthrose qu’il a appelé « omarthrose ». Etienne lui a demandé si l’arthrose de la femme était donc différente de celle de l’homme. Le praticien a rigolé et lui a expliqué que c’était le nom donné à l’arthrose de l’épaule sans distinction de sexe. Etienne n’a pas ri du tout devant cette nouvelle localisation arthrosique qui dans les minutes suivant le diagnostic a repris son activité douloureuse sournoise. Il s’est dit qu’il y avait surement une part d’autosuggestion dans ses douleurs et s’est un peu rassuré.

Il est rentré chez lui et a regardé le cliché en le mettant devant le globe en opaline blanche qui cache la lampe du salon. Il a revu ce que le radiologue lui avait montré et il a pris un crayon pour entourer la goutte d’un trait. Il n’aura ainsi aucune difficulté ensuite à montrer la lésion à son épouse, ses amis, ses voisins et au rhumatologue qui devra ainsi confirmer ce qu’il a désormais bien vu.

En tout cas il se prend à penser que depuis plusieurs jours il ne ressent plus rien dans le genou gauche si le droit le gène dans les escaliers et après un petit quart d’heure de marche. Il envisage donc sérieusement un traitement comme proposé mais cela dépendra un peu du problème de l’épaule, de ce que trouvera en plus le docteur Manfaimieux à l’échographie. Il ne veut pas être transformé en passoire avec des injections partout mais ne veut pas aussi que son estomac devienne cet instrument de cuisine à force de prendre des  « efferalgan » ou des aspirines qui ne font que le soulager, il le sent bien, de façon passagère encore qu’il n’en a pas pris depuis samedi soir.

Mardi et mercredi ont été consacrés à accompagner Madame aux soldes pour la deuxième démarque et s’il n’aimait pas trainer dans les magasins debout, il avait volontiers accepté ces courses pour trouver une nouvelle tenue de sortie car il passait presque les fesses à travers l’actuelle qui avait tout de même dix ans. Il préférait largement s’habiller en tenue de sport. Il avait trouvé un ensemble mercredi soir dans le dernier magasin qui restait à faire et juste avant sa fermeture à 19 heures. Il avait fallu qu’il essaye le costume presque dans le noir car le patron avait commencé à éteindre le magasin malgré les réclamations de son employée. Comme il avait la taille mannequin, lui avait dit celle-ci, les essais avaient été rapides et concluants : le pantalon tombait bien, il remplissait bien le fond de la culotte. Juché sur la chaise de la cabine, il écoutait aussi madame ne tarissant pas d’éloge sur la parfaite congruence entre l’habit et l’homme tandis que la vendeuse ajustait le bas du pantalon pour le marquer avec des épingles. Il était vite descendu de la chaise non sans ressentir à nouveau une gêne dans ce satané genou droit. En reprenant ses vêtements au porte-manteau, il avait aussi ressenti une vague douleur à la face antérieure du bras. Il était revenu vers le comptoir où madame était en train de faire le chèque. Il avait remercié l’employée qui lui avait promis l’ourlet pour le lendemain en fin de matinée. Il était rentré à la maison entouré d’un flot de parole de son épouse qui ne s’arrêtait pas de se féliciter du costume acheté devenu l’affaire du siècle, tant du fait de la couleur que celui de la forme et du prix.

Pendant ce temps il avait pensé qu’il le mettrait demain pour aller chez le rhumatologue, histoire d’épater un peu Catherine la secrétaire. C’est pour cela qu’il avait insisté pour récupérer le vêtement jeudi matin.

Un repas avait suivi l’autre depuis cet exceptionnel et unique menu de vendredi avec les tournedos. Mercredi soir il y avait une bonne soupe de légumes, une tranche de jambon maigre sans couenne, une part de brocolis, un yaourt et une pomme. A ce régime-là, il pouvait bien retrouver la taille mannequin qu’on  avait déjà remarqué. A ce train-là, la goutte ne serait plus qu’un lointain souvenir.

Avant de se coucher après avoir regardé un match de foot des seizièmes de finale de la coupe de France qui ne l’avait pas passionné, il avait groupé les radiographies des genoux et de l’épaule avec la boite d’ampoules sur la console de l’entrée pour ne pas les oublier le lendemain. Il avait passé une très bonne nuit seulement réveillé par le bruit de la vapeur issue du petit canard qui fermait le bec de la bouilloire posée sur la gazinière à la cuisine.

Une bonne douche bien chaude avait fini de le mettre en état d’affronter ce jeudi attendu. Il fallait aujourd’hui prendre de nombreuses décisions et il était prêt à assumer. Aujourd’hui ,en plus, il faisait presque beau, ce qui était plutôt agréable. Après un bon café, il s’était engouffré dans les pages de Google à la recherche de renseignements sur l’arthrose de l’épaule, histoire de ne pas être pris de court cet après-midi chez le médecin. Il avait vu que les résultats d’une éventuelle viscosupplémentation dépendaient des lésions tendineuses retrouvées avec l’échographie. Ainsi une rupture de la coiffe des rotateurs associée à une arthrose de l’épaule correspondante n’était pas une bonne indication. Il avait vu aussi qu’il existait des viscosuppléments qui s’injectaient en une seule séance pour l’épaule ou la cheville ou la hanche.

Il avait récupéré vers 11 heures son costume qu’il avait tout de suite étrenné. Il était parfait et avait pu mettre facilement son pardessus. Il avait donc surement maigri un peu.

Il s’était présenté en début d’après-midi tout seul mais avec ses radiographies et la boite d’ampoules qui n’en contenait plus qu’une chez le Dr Manfaimieux Madame avait oublié l’épisode des clefs qu’il avait récupéré la semaine dernière après les avoir oublié et l’avait laissé partir sans aucune recommandation, ce qui était rare. Catherine, la secrétaire, avait envoyé un très long regard sur Etienne et son costume après qu’il se fût assis, ayant posé le manteau. C’est sûr, il l’avait ébloui. Il s’était relevé pour lui demander l’heure qu’il avait sur sa montre au poignet. Il avait pris des nouvelles du docteur qui apparemment allait parfaitement bien, juste un peu en retard à cause d’un colloque à l’hôpital entre midi et deux heures. Il avait parlé de son épaule et avait raconté ce qu’il avait vu sur internet. Elle avait confirmé ses dires concernant l’injection unique dans l’épaule et avait précisé que ces injections se faisaient généralement sous fluoroscopie chez le radiologue mais aussi sous échographie dans le cabinet de son patron. Mais elle lui avait aussi fait remarquer qu’il avait oublié son rendez-vous d’échographie dans la matinée. Etienne avait blêmi, il avait été à la limite de la syncope mais s’était vite repris car la secrétaire avait à nouveau souri et repris la discussion. Il avait appris que l’échographe était tombé en panne ce matin et qu’il aurait donc dû revenir. De paroles en paroles, il avait dit être très content du traitement pour son genou gauche et il avait évoqué sa possible inclusion dans un protocole d’étude de viscosupplémentation au cas où le genou droit le justifierait. La secrétaire lui avait donné d’excellents retours provenant de patients déjà traités et il avait ainsi conclu que, n’étant donc pas seul concerné, il n’était pas pris pour un éventuel cobaye.

C’est en pleine conversation, à 2 heures 10, que  Gérard Manfaimieux surprend Etienne et Catherine. Il les laisse  bavarder. Après un petit raclement de gorge pour se manifester, il rentre dans son bureau. Deux minutes plus tard il en ressort ayant revêtu sa blouse blanche.

« C’est à nous Monsieur Saint à moins que vous ne préfériez faire faire l’injection par ma secrétaire ! »