Chapitre 16. Etienne devient Monsieur 33

Etienne avait parafé lundi le consentement éclairé signant son entrée dans l’étude d’une nouvelle formulation d’acide hyaluronique associé au mannitol pour le traitement de l’arthrose du genou.

Ce mannitol, qui est un sucre-alcool très répandu et utilisé notamment comme anti oxydant à la manière du sorbitol dans de nombreuses préparations pharmaceutiques, pourrait avoir des propriétés antalgiques directes sur une membrane synoviale inflammatoire par blocage des messages qu’elle envoie depuis des nocicepteurs reliés aux zones cérébrales centrales qui les analysent. L’injection intra articulaire de la préparation devrait donc entrainer une diminution rapide des douleurs liées à l’arthrose alors qu’il est connu que cette amélioration peut demander en moyenne de 2 à 6 voire 10 ou 12 semaines pour être reconnue quand on utilise des acides hyaluroniques seuls. D’autres préparations sont déjà commercialisées et comportent ce sucre-alcool à des concentrations très élevées avec le même objectif d’antalgie rapide qui parait d’ailleurs atteint. En plus le mannitol est déjà largement utilisé avec l’acide hyaluronique pour les injections intradermiques en chirurgie esthétique avec des résultats prouvés sur la diminution de la douleur à l’injection et sur un plus long temps de présence dans le derme.

Il était revenu jeudi soir chez le Dr Manfaimieux pour recevoir la première injection dans le genou droit qui continuait à le gêner de plus en plus sérieusement d’autant qu’il ne prenait plus d’antalgique. Sa douleur sur une échelle visuelle antalgique graduée de 0 à 100 mm devenait de plus en plus élevée et en cette fin de journée il l’avait marqué à 62 alors qu’elle n’était que de 51 lundi matin. L’ensemble des valeurs obtenues avec les indices composites de mesure de l’arthrose, le WOMAC et le Lequesne, avait d’ailleurs augmenté dans des proportions identiques justifiant largement un traitement local. Après un examen général et local précédé d’un interrogatoire toujours identique aux précédents, n’excluant aucune pathologie même extra-articulaire, Etienne avait eu sa première injection selon le même protocole de préparation que lors des autres infiltrations : asepsie soigneuse et répétée de la peau, ponction préalable qui avait ramené 6 centimètres-cube de liquide synovial jaune paille translucide et épais ( une partie avait été conservée dans un petit tube contenant un anticoagulant pour analyse ultérieure au laboratoire comme pour le genou gauche avec recherche de cristaux ; allez-savoir avec cette goutte qui semblait pourtant avoir quitté le bonhomme). Il n’avait absolument rien ressenti. Il n’avait pas pu voir le contenu des seringues recouvertes d’un film opaque et ne pouvait donc pas préjuger du groupe dans lequel il avait été inclus avec son assentiment. Il en était de même pour le médecin qui ne savait pas non plus quel type de préparation il injectait. Seul un organisme central qui avait randomisé les lots à injecter et attribué de façon aléatoire à chaque patient inclus un numéro identique tout au long de l’étude (dans son cas 33), connaissait la répartition. Ainsi en cas d’incident, l’anonymat du produit pouvait être levé afin de prendre d’éventuelles mesures adaptées. Les mêmes recommandations de repos lui avaient été données. Il avait aussi parfaitement entendu qu’en cas d’incident quel qu’il soit, même ne semblant pas lié à l’injection (puisqu’il s’agissait d’une étude), il devait contacter le médecin. Il avait aussi un numéro vert en cas d’évènement grave. Le médecin lui avait à nouveau rappelé qu’il était libre à tout moment de quitter l’étude sans avoir d’explication à donner. Il devait noter le degré d’antalgie obtenu avec le produit utilisé dès ce soir.

Etienne était ensuite rentré. Il avait eu le temps de donner au laboratoire le petit tube de liquide pour l’analyse et avait revu à cette occasion la petite laborantine qui lui avait annoncé pour la première fois qu’il était un homme à cristaux. Il était aussi passé chez le pharmacien pour lui dire que tout s’était bien passé. Il était rentré à la maison où son épouse l’attendait. Elle avait préparé une vessie de glace au cas où son mari aurait mal au retour, ce qui n’était absolument pas le cas.

La soirée avait été très calme. Le genou droit de notre héros n’avait montré aucun signe de souffrance. La nuit avait été parfaite.

Nous sommes vendredi matin et Etienne se lève en pleine forme. Il ne sent absolument pas son articulation, il enlève le petit pansement avant de prendre une bonne douche bien chaude. Il prend un bon bol de café avec un morceau d’une brioche que madame a cuisiné hier. Il enfile un survêtement et met une paire d’Adidas : il a décidé de faire une bonne marche à travers le bois car il fait beau et curieusement presque chaud.

C’est vers 9 heures qu’il attaque la grande allée de terre battue sans remarquer la moindre douleur articulaire. Il se prend à penser qu’il a surement eu le nouveau produit : réflexion dictée par le souvenir de la dernière injection dans le genou gauche qui avait été douloureuse. Il fait  une bonne heure de marche qui lui prend environ une heure et demi Il n’a pas forcé, est allé à son rythme sans aucun incidents. Il est content. Pourvu que cela dure.