Gingembre et Arthrose

Le mot gingembre vient du mot sanskrit srngavera qui signifie : en forme de corne. Les grecs lui ont donné le nom ‘’ziggiberis’’ et les romains l’ont appelé zingiber devenu en français gingibre puis gingembre. Le rhizome de cette plante est utilisé dans beaucoup de médecines ancestrales. C’est une pierre d’angle des thérapeutiques ayurvédiques avec sa capacité à combattre toutes sortes d’inflammations. Elle est d’ailleurs originaire de l’Inde où elle y est largement cultivée comme en Chine où c’est le remède à tout. La culture se fait par essentiellement par fragmentation des rhizomes car les graines sont peu fertiles. En Egypte antique, on s’en servait dans le processus de momification. Répandu en Europe dès le I° siècle, le gingembre est très vite utilisé en cuisine par les grecs et les romains. Il était connu aussi des arabes sous le nom de Zanjiber du même nom  que celui qu’ils avaient attribué à cette région orientale de l’Afrique où ils allaient le chercher. C’est aujourd’hui l’archipel de Zanzibar. Cette « racine » a été l’objet d’un important commerce entre l’Europe et l’Orient au Moyen Age où elle transitait par la route des Indes. Très utilisé alors pour ses vertus aphrodisiaques, le gingembre avait une importance comparable à celle du poivre. Il coûtait très cher, servait de monnaie d’échange et donnait lieu à un impôt. La plante a été importée ensuite de façon quasi industrielle par les espagnols au début du XVI° siècle après qu’ils l’aient cultivé à grande échelle dans les Caraïbes. La Jamaïque est aujourd’hui d’ailleurs un des gros producteurs de gingembre. Il est utilisé de façon courante dans la cuisine de l’Asie du sud-est en particulier en Inde. En Europe il est surtout incorporé dans la pâtisserie et la confiserie, dans des boissons rafraichissantes et dynamisantes dont la « ginger ale», le soda Canada Dry et certains « thés au gingembre » ou « thés de gingembre ». Il existe aussi une variété de bière brassée dans les Caraïbes : la « ginger beer ».

La plante en botanique

Le gingembre porte le nom scientifique de Zingiber officinale de la famille des zingibéracées. C’est une plante vivace tropicale herbacée d’environ 1 mètre de haut issue d’un rhizome. Les feuilles persistantes sont lancéolées, bisériées, longues et odorantes. Les fleurs sont blanches et jaunes ponctuées de rouge sur les bords, Après la floraison il se forme un épi qui contient des graines noires encapsulées au sommet d’une tige écaillée. La chaleur et l’humidité des tropiques lui est nécessaire pour son développement. La croissance est alors rapide et la multiplication se fait par division des rhizomes. Il est de la même famille que la cardamone ou le curcuma longa. Le galanga ou Alpina galanga est très proche du gingembre qu’il remplace souvent dans de nombreux pays asiatiques.

 

Pot chinois à gingembre XIX° siècle

Les propriétés médicinales

On utilise surtout son  rhizome.Des études ont confirmé ses propriétés anti oxydantes, anticancéreuses, anti-inflammatoires, anti-apoptotiques, anti-hyper glycémiques et antiémétiques. On lui attribue, comme le galanga,un cousin, des propriétés aphrodisiaques. Pline l’Ancien parlait déjà de cette vertu. Les prêtresses de Dionysos composaient des philtres d’amour à base de gingembre et d’un champignon très évocateur des plaisirs de l’amour : le Phallus impudicus. Le Kâma-Sûtra évoque son usage dans des pratiques sexuelles occultes.  Mais aucune étude n’est venue corroborer ces allégations. Peut-être confondait-on les maux et transports de l’amour avec les cinépathies où le gingembre a toujours fait merveille notamment chez les marins qui parcouraient alors les mers à sa recherche. L’odeur et le gout citronné à l’état frais, celui poivré et piquant à état sec du gingembre est liée à la présence de zingerone mais aussi de shogaol de gingerol qui se forment ensuite lors de la cuisson ou du séchage de la racine. C’est une plante apéritive qui favorise la digestion et améliore les troubles dyspeptiques tels que nausées, vomissements ou ballonnements: c’est le confort de la femme enceinte dans l’Antiquité. Elle améliore les symptômes des rhumes et de la grippe en renforçant des capacités de défense immunitaire de l’organisme. Le gingembre est aussi largement proposé dans le traitement des douleurs rhumatismales.

 

Mode d’action sur l’inflammation rhumatismale.

C’est la présence de sesquiterpène-lactones qui est à l’origine de l’effet antiinflammatoire du rhizome de cette plante.  Ces terpénoïdes inhibent les prostaglandines inflammatoires E2 issues de l’acide arachidonique mais sont aussi capable d’en diminuer la synthèse comme celle des  leucotriènes. Mais le gingembre a aussi un effet anti-radicalaire inhibant notamment la production de ROS (radicaux libres oxygénés) responsable de multiples altérations cellulaires et bloquant ainsi l’activation de la collagénase MMP-1 qui est une enzyme de destruction du cartilage (4). Son action porte aussi sur l’inhibition des effets destructeurs de l’interleukine1.

L’action antalgique sur les douleurs rhumatismales qui  découle de cet effet antiinflammatoire a été étudiée de façon scientifique depuis une trentaine d’années avec quelques travaux bien conduits sur le plan méthodologique.

 Quelques études dans l’arthrose

 Etude danoise (1) en 2000

Les auteurs partant de l’idée que de nombreuses alternatives thérapeutiques étant  proposées aux patients souffrant en particulier d’arthrose, il était bon d’en contrôler quelques-unes pour en connaitre l’efficacité. Ils vont choisir les extraits de gingembre et monter une étude en double aveugle, double insu et cross over pour les comparer à un placebo et de l’ibuprofène. Trois groupes  de patients souffrant d’arthrose de hanche et de genou sont ainsi randomisés et commencent les traitements après une période d’arrêt d’1 semaine des antalgiques et antiinflammatoires habituels. Chaque groupe reçoit ensuite de façon alternative les trois traitements par période de trois semaines. Le paracétamol est l’antalgique de secours en cas de fortes douleurs pendant les 10 semaines de suivi. Les trois périodes  thérapeutiques ont été rangées par ordre d’efficacité sur l’EVA douleur (p=0.00001) et l’indice de Lequesne (p=0.00005) selon la séquence Ibuprofène > extraits de gingembre > placébo. Les premières périodes de traitement montraient un meilleur effet de l’ibuprofène et du gingembre par rapport au placebo (p=0.05) tandis que l’étude en cross-over ne permettait pas de faire la différence entre gingembre et placebo. Il n’y a eu aucun effet secondaire sérieux pendant l’étude. Les auteurs concluent que le gingembre s’est avéré efficace  dans le groupe qui l’a reçu comme 1° séquence et avant la phase de cross over

 Etude américaine (2) en  2001

L’objectif du travail était d’évaluer l’efficacité et la tolérance d’une préparation comportant deux variétés de gingembres : Zingiber officinale et Alpina galanga sur 261 patients souffrant d’arthrose du genou. L’étude était randomisée en double aveugle contre placébo et durait 6 semaines précédées une période d’arrêt complet d’antalgiques et antiinflammatoires habituels. Le tirage au sort désignait le groupe gingembre G (510 mg/j)  ou placebo P. Tous les malades prenaient les mêmes gélules 2 fois par jour et pouvaient utiliser en complément du paracétamol. Le critère principal de l’étude était la proportion de sujets répondeurs dont la définition correspondait à une diminution de 15 mm et plus de la douleur mesurée sur une EVA douleur de 100 mm. L’analyse a porté sur 247 cas exploitables en fin d’étude. 63% des patients du groupe G répondaient à ce critère contre 50% dans P correspondant à une différence statistiquement significative (p=0.04). Un critère secondaire consistait à mesurer la moyenne des diminutions de douleur dans les 2 groupes : elle était mesurée à 24,5 mm pour le groupe G et 16,4 pour P, différence hautement significative (p =0.005) comme dans un autre critère portant sur la mesure de la douleur après une marche de 100 mètres : 15,1 pour G et 8,7 pour P (p=0.016). Le groupe G se déclarait globalement amélioré de façon majoritaire et avait consommé moins de paracétamol que le groupe P. La qualité de vie n’était pas modifiée dans les 2 groupes. On notait plus de troubles gastro-intestinaux dans le groupe G que dans P : 59 contre 21. Les auteurs concluaient à un effet statistiquement significatif sur les symptômes de l’arthrose de la préparation constituée de gingembres. Cet effet était considéré comme modéré. Le profil de tolérance était considéré comme bon malgré un plus grand nombre de troubles digestifs lié à la prise de l’extrait des gingembres

Etude iranienne (3)en  2005

Comme il était déjà démontré qu’une supplémentation en gingembre pouvait diminuer la sévérité des symptômes de l’arthrose  ainsi que la consommation des antiinflammatoires, les auteurs iraniens proposaient un nouveau travail randomisé en double aveugle contre placébo consistant à démontrer que les extraits de gingembres pouvaient être une alternative aux antiinflammatoires et un complément de traitement dans l’arthrose. Ils recrutaient 120 patients souffrant d’arthrose et ayant recours uniquement aux antiinflammatoires pour se traiter. Ils étaient randomisés en 3 groupes de 40 : placebo P, gingembre GE et ibuprofène IBP.  Tous acceptaient de ne rien prendre dans la semaine précédant le début des traitements. Ensuite pendant un mois tous les groupes recevaient le même nombre de capsules y compris le groupe placébo mais contenant au total 30 mg d’extrait de gingembre (ces 30 mg correspondent à 1 g. de poudre sèche de gingembre selon le procédé d’extraction et de fabrication utilisé)  pour le groupe GE et 1200 mg d’ibuprofène pour le groupe IBP. Du paracétamol était proposé pour compléter au besoin le traitement en cas de fortes douleurs. Les critères de l’étude comportaient la mesure de la douleur sur une EVA, du périmètre articulaire et de la mobilité articulaire  par goniométrie (130° normal, 120° limité et 110 très limité). L’amélioration des symptômes était manifeste pour le groupe GE et IBP. Sur l’ensemble des mesures avec une différence statistiquement nettement significative à 1 mois par rapport au groupe P (p=0.0001). Il n’y avait par contre pas de différence entre les groupes GE et IBP. Les auteurs concluaient à la non infériorité des 30 mg d’extraits de gingembre par rapport à 1200 g d’ibuprofène.

Au total

Trois études qui tendent à montrer que le gingembre a une action antalgique non négligeable sur les manifestations douloureuses rhumatismales. Si l’on rajoute qu’in vitro le gingembre a apporté la preuve d’une inhibition de d’activation de la collagénase impliquée dans la destruction articulaire notamment au cours de l’arthrose, on a de nombreux arguments cliniques et biologiques pour le suggérer dans la composition de compléments alimentaires destinés à améliorer la qualité de vie des rhumatisants.

 

 Bibliographie

 1. Bliddal H, Rosetzsky A, Schlichting P, Weidner MS, Andersen LA, Ibfelt HH, Christensen K, Jensen ON, Barslev J. A randomized, placebo-controlled, cross-over study of ginger extracts and ibuprofen in osteoarthritis. Osteoarthritis Cartilage. 2000 Jan;8(1):9-12.
2. Altman RD, Marcussen KC. Effects of a ginger extract on knee pain in patients with osteoarthritis. Arthritis Rheum. 2001; 44: 2531-2538.
3. Masoud Haghighi, Ali Khalvat, Tayebeh Toliat, Shohreh Jallaei. COMPARING THE EFFECTS OF GINGER (ZINGIBER OFFICINALE) EXTRACT AND IBUPROFEN ON PATIENTS WITH OSTEOARTHRITIS Arch Iranian Med 2005; 8 (4): 267 – 271
4. F.Rousset, B.Lardy, L.Grange, F.Morel. Etude comparative, in vitro, des effets de la glucosamine sulfate et du cuivramine sur la lignée chondrocytaire C-20/A4 Approche moléculaire, impact des ROS générés par Nox4 (OARSI 2012)