Viscosupplémentation à l’acide hyaluronique ou PRP dans l’arthrose du genou.
Une partie de cartes avec Xavier Chevalier contre Mikel Sanchez dans les salons du Barcelo Sants à l’ISIAT 2013 (Barcelone)
Présentation des joueurs.
Xavier Chevalier (Hôpital Henri Mondor-Créteil-France), un spécialiste mondial de l’arthrose, a la lourde tâche de défendre l’acide hyaluronique (AH) dans le traitement de la gonarthrose alors que la viscosupplémentation fait actuellement l’objet en France d’une polémique quant au maintien du remboursement forfaitaire des produits utilisés dans un contexte économique difficile qui pousse aux coups de rabot bien aidés en cela par l’étude suisse négative de AW. Rutjes dont on peut dire qu’elle fait l’unanimité dans le monde scientifique médical international pour sa mauvaise conduite méthodologique débouchant sur des conclusions aberrantes et contradictoires. Nous y revenons fréquemment sur le site car il est nécessaire d’être informé et de le savoir. Notre orateur connait parfaitement le sujet et nous lui faisons confiance.
Mikel Sanchez (Vitoria-Espagne) est chirurgien orthopédiste. Il est moins connu dans le milieu rhumatologique français et nous le découvrons à la table des orateurs. Mais c’est un des pionniers de l’arthroscopie en Espagne et un des grands spécialistes du PRP qui fait référence dans le monde de la médecine sportive mais aussi de l’orthopédie. Il soigne les grands sportifs du monde entier qui affluent sur Vitoria. Nous nous méfierons de son jeu et surtout de ses coupes. Encore une compétition France/Espagne qui promet après le football, le basketball et le tennis…
Exposé du Pr. Xavier Chevalier
(retranscrit par médecin42140)
C’est donc Xavier Chevalier qui commence.
Très bon joueur, il étale tout de suite son jeu avec 6 cartes majeures qu’il va utiliser successivement dans le temps qui lui est imparti :
- Présentation des produits utilisés
- Mécanismes d’action connus
- Efficacité contre placebo
- Efficacité contre corticoïdes et PRP
- Effets chondroproctecteurs potentiels
- Profils de sécurité d’emploi
Mais c’est en fin stratège qu’il a gardé dans les mains sa carte maîtresse qu’il abat ensuite d’entrée sur le tapis laissant pantois son adversaire et l’assistance.
Il pourra désormais poser ses valeurs une à une. Il va conserver l’avantage pendant tout l’exposé. On a bien compris d’entrée que le PRP n’est pas cette sirène venue d’ailleurs et possédant toutes les propriétés merveilleuses que suggère cette image.
Les produits.
L’acide hyaluronique est parfaitement approuvé en tant que dispositif médical et, sous sa présentation Hyalgan, il est même considéré comme médicament en France. Il ne comporte aucune toxicité que ce soit dans sa forme linéaire ou réticulée. Ses quantités utilisées sont parfaitement définies, que ce soit en volume, en concentration et en poids de substance. Sa fabrication est labellisée, rigoureusement contrôlée avec une extraction et une purification vérifiées.
Il n’en est pas ainsi pour le PRP qui provient d’une extraction quasi artisanale la plupart du temps au plus près du patient, justifiant de plus pour sa conservation éventuelle une congélation source de conservation hasardeuse. Il s’agit en effet de récupérer des plaquettes dans le sang du sujet à traiter par ponction veineuse puis centrifugations multiples et activation comme le montre ce schéma proposé par Y. Zhu (1) dans Osteoarthritis Cartilage.
Il ne s’agit donc plus d’un produit PRP identique pour chaque patient mais d’une préparation de plaquettes à concentrations variables allant selon les individus de 2,5 billions à 6.5 millions ce qui correspond à près de 400 fois moins ! Comme l’extraction des plaquettes laisse toujours notamment des globules blancs ainsi que de la fibrine, avons-nous toujours au final le même produit pour tous ? Quel rôle vont jouer ces cellules et substances en quantités et qualités variables? On peut rajouter le fait que la congélation éventuelle des plaquettes peut aboutir à une dégranulation. On mentionne enfin le rôle potentiel des différents activateurs utilisés comme la thrombine ou le chlorure de calcium qui peuvent être des activateurs des métalloproteinases.
Si l’on sait d’autre part assez bien comment gérer la viscosupplémentation avec le nombre des injections et leur intervalle selon l’articulation à traiter, on ne connait aucun schéma validé pour le PRP dont l’utilisation reste totalement empirique.
Le mécanisme d’action.
Celui de l’acide hyaluronique commence à être bien connu avec une élévation de viscosité prouvée du liquide synovial arthrosique qui est bénéfique sur le plan mécanique et une augmentation de la fabrication endogène de l’AH par la membrane synoviale retentissant sur le métabolisme catalytique du cartilage arthrosique notamment sur l’IL-1β ou les MMP et la génération de ROS avec un effet bénéfique sur ce tissu.
Ce n’est pas le cas pour le PRP issu des plaquettes qui comporte plus de 1500 facteurs bioactifs dont on ne connait ni toutes les propriétés ni toutes les interactions. Il est nécessaire d’en tenir compte lorsque l’on prend en charge une pathologie sans risque vital.
Plus : tous les facteurs de croissance ne sont bons pour le cartilage comme en témoigne un travail de Cl. Serra (2) qui montre que beaucoup d’entre eux ont des effets opposés sur le phénotype chondrocytaire ; effet bénéfique de TGF, bFGF et IGF mais effets néfastes de VEGF et BMP-2 et aussi induction de synthèse du collagène 1 osseux ou promotion d’une angiogénèse impropres au cartilage hyalin. Tout cela aboutit pour cet auteur à la création par le PRP d’un fibrocartilage totalement inefficace lors de la tentative de réparation au cours d’une arthrose expérimentale chez le lapin, lequel n’est pas différent de celui obtenu sous le régime des injections de placebo.
Etudes cliniques contre placébo.
Continuant sur sa lancé X. Chevalier en vient aux travaux cliniques comparatifs entre AH et placebo. Il a recensé 75 études publiées avec 9 méta-analyses dont 6 sont en faveur de l’AH et 3 sont négatives dont celle de AW Rutjes (3). IL signale à cette occasion que l’auteure attribue à l’AH un effect size (ES) tout à fait pertinent de 0,37, donc deux fois supérieur à celui du paracétamol évalué dans l’arthrose à 0,19. Il coupe ainsi l’herbe sous les pieds d’un adversaire de la substance toujours prompt à mettre en avant cette étude quand il s’agit de rendre inutile et dangereuse la viscosupplémentation.
Il procède de même avec les travaux effectués avec le PRP et comptabilise 65 études pour la plupart ouvertes sans placebo qui montrent globalement des résultats positifs sur les arthroses débutantes d’autant meilleurs que les sujets sont plus jeunes avec une efficacité ne persistant pas au-delà de 6 mois pour les arthrose de stade 1 et 2 de K et L, au-delà de 3 mois pour les stades 3. Plus les sujets sont âgés et moins le PRP est efficace. Ces résultats sont obtenus avec une injection de 6 ml. de PRP. Il ne trouve qu’une étude contre placebo et elle est récente, publiée en février 2013 par S. Patel (4). Elle utilise du PRP sans leucocytes en une ou deux injections comparé à un placebo avec un suivi de 6 mois et des critères d’efficacité reposant sur un WOMAC et une EVA douleur. Cette étude montre que le PRP est plus actif que le placébo et que 2 doses sont plus efficaces qu’une seule. Cependant ce travail n’est pas très enthousiasmant car la méthodologie est mauvaise : on a pris des arthroses de genou bilatérales sans EVA douleur minimale à l’inclusion. Elles proviennent d’un seul centre de recrutement et d’expertise sans véritable double aveugle puisqu’un groupe traité par PRP recevait 2 injections quand les autres en avaient une seule ! Enfin, et c’est le plus ennuyeux, cette étude ne met en évidence absolument aucun effet placebo, ce qui est contraire aux résultats attendus dans un travail de ce type où sa présence peut être considérée comme quasi obligatoire.
Efficacité contre corticoïdes et PRP
Notre orateur s’attache désormais à comparer l’AH aux corticoïdes intra-articulaires et utilise le travail de Bannuru (5) publié dans Osteoarthritis Cartilage en 2011 qui montre que l’effet de AH commence à se manifester vers la 4° semaine suivant le traitement, est maximum au troisieme mois et peut persister encore à 6 mois avec un effect size dépassant 0,4, bien plus élevé donc que celui obtenu avec le paracétamol ou les AINS classiques. On peut considérer que la grande majorité des études retrouve cette caractéristique d’efficacité. On sait bien en contrepartie que la cortisone est efficace de suite alors que ses effets bénéfiques disparaissant après le 1° mois ce qui est donc tout l’inverse.
Qu’en est-il des travaux comparant HA et PRP ? 5 études ont été retenues. Elles portent au total sur plus de 500 patients avec des doses variables de PRP et semble montrer une efficacité supérieure du PRP. Mais encore une fois ce résultat positif apparent doit être modulé car aucune préparation de PRP n’est identique, tous les stades de la maladie arthrosique sont inclus, le nombre d’injections n’est pas le même selon les études et enfin aucune de ces études n’a été conçue pour un essai de non-infériorité. A regarder de plus près seuls finalement les stades 3 d’arthrose semblent mieux réagir au PRP quand comparés à l’AH.
La chondroprotection
On en vient à l’effet chondroprotecteur. Il n’y a aucun travail concernant le PRP alors que le nombre d’études concernant l’AH ne cesse d’augmenter montrant des effets favorables dans l’arthrose expérimentale animale non retrouvés chez l’homme mais avec un travail récent montrant une diminution de perte de cartilage sur 2 ans avec 4 séries de 3 hylan espacées de 6 mois par comparaison à du placebo. On a aussi montré récemment que l’AH pouvait retarder de quelques années la mise en place d’une prothèse.
La tolérance
Reste la tolérance. Un travail de G. Filardo (6) a montré que les douleurs après injection étaient plus importantes pour le PRP que pour l’AH avec une différence statistiquement significative tandis que le risque de voir apparaitre un épanchement dans les suites est le même.
Xavier Chevalier, arrivé au bout de son énumération en vient aux conclusions et pour lui les choses sont claires et résumées dans le tableau suivant :
L’acide hyaluronique est efficace, facile et sûr d’emploi : cela se confirme de plus en plus. Il a une action qui se prolonge au-delà de 6 mois Son utilisation est codifiée et sa fabrication contrôlée. Le nombre des essais cliniques est important. Il est supérieur au PRP en ce sens que ce dernier est d’utilisation récente, sans production standardisée, sans règle d’emploi établie, sans indications bien précise, sans travaux encore suffisants pour affirmer que les facteurs de croissance qu’il véhicule sont sans risques lointains.
Pour nous il restera donc encore quelques temps en stage avant d’être embauché comme employé modèle dans le traitement de l’arthrose même s’il parait de plus en plus utilisé (ce qui pourrait être une façon de se rassurer?) dans les tendinopathies et, semble-t-il, avec satisfaction.
suite de la retranscription de la partie dans le prochain article avec Mikel Sanchez à la manoeuvre.
Bibliographie partielle de l’orateur
- Zhu Y, Yuan M, Meng HY, Wang AY, Guo QY, Wang Y, Peng J. Basic science and clinical application of platelet-rich plasma for cartilage defects and osteoarthritis: a review. Osteoarthritis Cartilage. 2013 Nov;21(11):1627-1637
- Serra CI, Soler C, Carillo JM, Sopena JJ, Redondo JI, Cugat R 11 Effect of autologous platelet-rich plasma on the repair of full-thickness articular defects in rabbits. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc. 2013 Aug;21(8):1730-6.
- Rutjes AW, Jüni P, da Costa BR, Trelle S, Nüesch E, Reichenbach S. Viscosupplementation for osteoarthritis of the knee: a systematic review and meta-analysis. Ann Intern Med. 2012 Aug 7;157(3):180-91
- Patel S, Dhillon MS, Aggarwal S, Marwaha N, Jain A. Treatment with platelet-rich plasma is more effective than placebo for knee osteoarthritis: a prospective, double-blind, randomized trial. Am J Sports Med. 2013 Feb;41(2):356-64.
- Bannuru RR, Natov NS, Dasi UR, Schmid CH, McAlindon TE. Therapeutic trajectory following intra-articular hyaluronic acid injection in knee osteoarthritis–meta-analysis. Osteoarthritis Cartilage. 2011 Jun;19(6):611-9.
- Filardo G, Kon E, Di Martino A, Di Matteo B, Merli ML, Cenacchi A, Fornasari PM, Marcacci M. Platelet-rich plasma vs hyaluronic acid to treat knee degenerative pathology: study design and preliminary results of a randomized controlled trial. BMC Musculoskelet Disord. 2012 Nov 23;13:229.