Chapitre 18 Etienne fait de la rhumatologie sur le trottoir

Toute cette fin de semaine Etienne a dû affronter la neige qui ne cessait de tomber. Elle entravait les trottoirs et les entrées des allées des immeubles. Il avait ainsi nettoyé régulièrement le devant de sa résidence avec une magnifique pelle achetée par le syndic. Il était resté très étonné de n’avoir aucune douleur dans l’épaule malgré la forte activité déployée par l’usage de cet instrument, remarque qu’il avait déjà faite quand il avait dû aider Son amie maraichère Marie Claude. Au passage le mari avait eu le vendredi une infiltration de cortisone dans son épaule pour une récidive de tendinite de la coiffe des rotateurs : cependant il allait devoir passer une nouvelle radiographie pour éliminer une arthrose. C’était du coup le même problème que celui d’Etienne.

Pour ce qui était des genoux et de leur traitement, il considérait cela comme parfait avec un résultat antalgique et fonctionnel surprenant. Il n’avait plus mal et marchait normalement, montant et descendant les escaliers sans aucune gêne. Combien de temps cela allait-il durer ? Il attendait avec impatience de pouvoir reprendre le football, impossible à envisager actuellement vu l’état du terrain. Il n’avait pas pris un seul comprimé pour les douleurs depuis près d’un mois, se disait-il.

Pour ce qui était de la goutte il avait pris rendez-vous au laboratoire pour une analyse en fin de semaine prochaine. Il rêvait déjà à un taux bas qui autoriserait un élargissement du régime car de ce côté-là ce n’était pas la joie.

Ces derniers jours et parce qu’il était souvent sur le trottoir à nettoyer la neige, il avait pu découvrir qu’il était loin d’être seul avec son arthrose. Il s’était fait de nouvelles connaissances avec sa pelle qui brillait comme un sou neuf et qui raclait le macadam avec un bruit identique à celui d’un ongle sur un tableau noir. Il était désormais incollable sur les différents traitements de l’arthrose dispensés chez les patients arthrosiques qui circulaient sur l’avenue. Il en ressortait que tous à des degrés divers prenaient des antalgiques régulièrement, beaucoup regrettant le défunt Dianatalvic jamais remplacé chez certains. Peu utilisaient couramment les antiinflammatoires qui n’avaient vraiment pas bonne presse alors qu’un nombre non négligeable  de ces réfractaires utilisaient sans arrière-pensée le classique comprimé d’aspirinewarningWarningL'aspirine est malheureusement aussi dangereuse que la plupart des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Il y a surement tous les jours des morts liées à la prise d'aspirine. qui, parait-il, n’avait toujours pas son pareil. Dommage qu’on ne puisse pas le mettre sur la hanche ou le genou comme on le fait pour la dent, disaient certains. Une bonne moitié de ces patients prenaient des médicaments anti arthrosiques à action lente à base de glucosamine, comme Cuivramine®, ou de chondroïtine ou d’extraits de soja et avocat, chacun étant content du dernier pris, chacun insistant bien sur la nécessité d’une prise régulière et suffisamment longue.

D’autres ne juraient que par les injections d’acide hyaluronique et Etienne découvrait ce monde qu’il ignorait pratiquement encore avant le précédent Noël. Le Dr Manfaimieux était incontestablement le spécialiste de ce traitement qu’il appliquait aussi bien chez lui que chez le radiologue ou au Centre Hospitalier selon les désirs des malades. Tous préféraient de beaucoup l’injection faite par le rhumatologue qui expliquait bien le pourquoi du traitement et ce qu’il faisait plutôt que celle réalisée par le radiologue à la demande de praticiens qui ne savaient pas les faire: elle était anonyme, sans âme et sans couleur. Ces injections marchaient très bien dans le genou mais aussi dans la hanche, dans l’épaule et la cheville avec les indications choisies par le rhumatologue : c’était flagrant. Il devait donc connaitre les bonnes indications : c’est ce qu’on attend d’un professionnel et si en plus c’est lui qui les fait ! Les injections multiples hebdomadaires semblaient avoir l’assentiment des patients atteints au genou tandis que la mono injection avait la faveur de ceux souffrant de l’épaule, de la hanche ou de la cheville. Etienne avait pu aussi se faire une idée sur le nouveau Happycross® qui, comme l’acide hyaluronique associé au sorbitol qu’il avait reçu dans le genou droit, comportait du mannitol à haute concentration. C’était surement ce que lui avait suggéré le médecin pour son épaule dans les semaines à venir en fonction de l’évolution. Beaucoup, l’ayant reçu, étaient satisfaits.

Il avait à nouveau remarqué qu’un bon nombre de ces malades allait en cure thermale avec des résultats parfois surprenants. Une femme lui avait dit qu’après sa cure, toujours faite en septembre, elle ne prenait plus un seul comprimé pour l’arthrose jusqu’au mois de mai suivant : c’était 9 mois de tranquillité ! Il allait encore en parler au Dr Manfaimieux, ça lui plaisait et puis il aimait bien la Savoie, ses torrents et le lac du Bourget avec son lavaret cuisiné au restaurant Beau Rivage. Il péchait d’ailleurs encore un peu au posé sur lac car il n’avait plus l’agilité nécessaire pour la pêche au lancer en remontant les rivières dont il avait été un grand champion. Ce serait une bonne occasion de ressortir le matériel avec les lignes de bord.

Un fort contingent de patients semblait tirer largement bénéfice de la kinésithérapie mais Etienne avait senti que ce traitement apportait plus aux conséquences extra articulaires de l’arthrose sur les tendons et les muscles qu’à l’articulation elle-même. Beaucoup étaient fanatiques des massages relaxants qui pourtant n’étaient pour la plupart pas assez pratiqués au bénéfice des « machines à pédaler ».

Il y avait aussi les « réparés » porteurs de prothèses en tout genre, chacun ayant la meilleure formule de toute la région car « personnalisée ». Incontestablement ce traitement avait la cote auprès des patients. D’écouter leurs histoires vous pousse à courir vous faire opérer dans l’heure tant tout parait parfait après l’opération. Mais c’est en interrogeant un peu tous qu’Etienne découvre que ça n’a pas marché pour le garagiste du carrefour de la sortie sud puisqu’il en est à sa troisième prothèse de hanche : deux ont déjà cassé !… Que le curé de la paroisse Saint Irénée a une prothèse du genou qui est douloureuse depuis sa pose et qu’il prend en permanence des antalgiques sans espoir de miracle malgré ses prières répétées et que le poissonnier a été opéré deux fois pour un changement de plateau tibial qui s’use trop vite. Ces quelques échecs pas toujours connus font réfléchir même s’ils ne sont qu’exceptions au regard de résultats éloquents largement diffusés.

Il y avait enfin les utilisateurs réguliers de compléments alimentaires destinés à améliorer les fonctions articulaires : harpagophytum, curcuma, spiruline et autres substances d’origine végétale ou marine. Un grand nombre réclamait des preuves scientifiques d’efficacité avec des études sérieuses justifiant leur utilisation au-delà des slogans qui en vantaient les mérites. Tous semblaient d’accord pour affirmer que jamais le cartilage ne repoussait avec ces substances malgré les publicités tandis que beaucoup appréciaient le confort souvent apporté.

En trois jours de trottoir Etienne en avait appris plus que pendant des mois sur internet ! Il avait pris conscience que l’arthrose était une plaie sociale qui finalement devait couter très cher à la société surtout si cette affection touchait une population active, ce qui n’allait pas tarder d’arriver avec un âge de la retraite inéluctablement repoussé au fil des réformes successives. Elle était à l’origine de nombreux arrêts d’activité. Il allait demander au Dr Manfaimieux si l’Etat avait calculé le coût social de cette affection. Le concernant, il avait pris conscience qu’il était entré avec ses genoux et son épaule, en attendant la suite…, dans une grande communauté de patients douloureux chroniques aux handicaps plus ou moins marqués.